Mettre en ligne des dossiers de fusillés

16 novembre 2014
 Cliquer pour accéder au dossier


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Pendant la Première Guerre mondiale, 1008 individus (militaires et civils, français et étrangers) ont été condamnés à la peine capitale par la justice militaire, au front ou à l’arrière, pour désobéissance militaire, affaires d’espionnage ou de droit commun.

Les archives des conseils de guerre conservées au Service historique de la Défense à Vincennes ont été numérisées et récemment mises en ligne sur le site internet Mémoire des hommes, en réponse à la demande formulée par le Président de la République lors du lancement des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale en novembre 2013. Dans cet ensemble sériel, ce sont des situations très diverses et souvent émouvantes que le curieux et le chercheur peuvent désormais facilement découvrir page après page.

Pour en savoir plus sur cette opération, nous avons interrogé Agnès Chablat-Beylot, conservateur en chef du patrimoine, responsable du département des archives définitives du Centre historique des archives du SHD.

 

D’où viennent ces dossiers de fusillés ?

Les « dossiers de fusillés », mis en ligne à partir du 6 novembre 2014 sur le site Mémoire des hommes sont les minutes de jugement et les dossiers de procédure des conseils de guerre qui les ont condamnés à mort. Ces archives sont conservées au Service historique de la Défense, au château de Vincennes, parmi les fonds de la justice militaire.

Quelles sont les pièces constitutives de ces dossiers ?

Les minutes de jugement, de 4 à 6 pages, ne présentent des affaires jugées qu’un aperçu sommaire : elles contiennent l’état civil du prévenu, l’acte d’accusation, les attendus du jugement et la sentence du tribunal.

Le dossier de procédure est la source la plus complète, dans la mesure où il comprend l’ensemble des documents ayant servi à l’instruction. On y trouve en théorie les pièces suivantes : plainte en conseil de guerre ; état signalétique et des services du prévenu ; relevé de punitions ; procès-verbal d’interrogatoire ; procès-verbaux d’information (rapports, interrogatoires des témoins) ; éventuellement pièces à conviction, de tous types et de tous supports ; rapport du commissaire-rapporteur, qui clôt l’instruction ; ordre d’informer ; minute du jugement.

Les dossiers des conseils de guerre spéciaux, qui ont fonctionné du 6 septembre 1914 au 27 avril 1916, sont bien moins fournis et ordonnés, ce qui démontre en soi l’urgence de ces procédures et les circonstances dérogatoires dans lesquelles ont travaillé ces juridictions éphémères.

Ces documents de base, dans un certain nombre de cas particuliers, sont complétés d’autres pièces : celles annexées au dossier dans l’après-guerre, lorsque celui-ci avait été rouvert à des fins de révision. Suivant la ou les juridiction(s) qui ont réexaminé l’affaire, c’est souvent tout un dossier, plus important que celui du premier jugement, qui est joint aux pièces d’origine. Les dossiers de la Cour spéciale de justice militaire, qui a fonctionné de 1933 à 1935, ont également été numérisés.

archives_SHDGR__GR_11_J_240__001__0003Certificat de conduite de Léo Mac Ghastley, né à Sacramento (Californie) le 2 septembre 1870. Condamné pour espionnage par le conseil de guerre de la Direction des étapes et des services (DES) de la Ve armée, il est exécuté à Romigny (Marne) le 15 septembre 1914.

 

 

 

 

Comment le SHD a-t-il élaboré ce nouveau corpus mis en ligne ?

Les documents relatifs aux fusillés ne constituent pas un ensemble distinct au sein du fonds de la justice militaire, et plus particulièrement des quatre sous-séries qui couvrent la période du conflit :

  • GR 9 J : conseils de guerre de Paris, soit 1 225 cartons ou registres
  • GR 10 J : conseils de guerre des régions militaires, soit 2 436 cartons ou registres
  • GR 11 J : conseils de guerre aux armées, soit 3 814 cartons ou registres
  • GR 12 J : conseils de guerre outre-mer, soit 3 045 cartons ou registres.

Ils sont classés par instance judiciaire, puis chronologiquement, parmi tous les autres dossiers produits par ces conseils de guerre. Ce sont donc quelque 6 500 boîtes d’archives qui ont été systématiquement dépouillées par les archivistes du SHD pour y repérer les documents relatifs aux fusillés parmi les dossiers de procédure et les registres de jugement.

Mais sachant que 10 à 20 % des archives produites par les conseils de guerre n’ont pas été conservées, disparues pendant le conflit ou après, la recherche a été complétée par des vérifications dans les archives des unités et des états-majors – qui n’ont toutefois pas été systématiquement dépouillées, ainsi que par une étude du fichier des morts de la Grande Guerre (dit « des Morts pour la France »). A propos de celui-ci, il faut souligner le complément qui lui a été apporté ce 11 novembre, avec la mise en ligne de quelque 95 000 fiches de décédés qui ne se sont pas vus attribuer la mention « mort pour la France ».

Pour en savoir plus : le corpus des fusillés documentés

Pouvez-vous expliquer le nombre de 953 soldats français fusillés ?

La base de données mise en ligne sur Mémoire des hommes donne accès à un corpus large qui prend en compte l’ensemble des personnes fusillées à la suite d’une condamnation par un conseil de guerre de l’armée française au cours du conflit, sans exclure ni civils, ni ressortissants étrangers, ni fusillés condamnés pour des crimes ou délits « de droit commun » ou pour espionnage. Les conseils de guerre de l’intérieur, d’outre-mer et de l’armée d’Orient sont représentés au même titre que les conseils de guerre aux armées du front occidental.

Les fusillés sans jugement sur ordre de l’autorité militaire sont aussi pris en compte. Les exécutions sommaires qui ont laissé des traces dans les archives militaires sont également recensées, qu’il s’agisse d’exécutions dans le feu de l’action par un supérieur, mais aussi de tirs de sentinelles sur des déserteurs ou sur des prisonniers tentant de s’évader, d’homicides par légitime défense par des camarades ou des gendarmes au moment d’une arrestation, etc.

Ce sont ainsi 1 008 cas qui sont documentés, dont 55 exécutés et tués sommairement. Le nombre de 953 recouvre donc :

  • 825 fusillés dont la condamnation est documentée par les archives des conseils de guerre ;
  • 101 fusillés documentés par d’autres sources (fichier des morts pour la France et archives des unités et états-majors)
  • 27 fusillés sans jugement pour désobéissance militaire documentés par les archives militaires.

Parmi ces fusillés, au moins 639 l’ont été pour désobéissance militaire.

Les archives des conseils de guerre relatives aux fusillés ont été numérisées et sont consultables dans une base nominative sur Mémoires des hommes. Quelles précautions ont-elles été prises en termes de protection des données personnelles ?

En application de l’article L213-2, alinéa 4, du Code du patrimoine, ces archives sont, comme tous les « documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions (…) et à l’exécution des décisions de justice », librement communicables à l’expiration d’un délai de 75 ans à compter de la date du document ou d’un délai de 25 ans à compter de la date de décès de l’intéressé. Ils étaient donc déjà librement communicables aux lecteurs fréquentant la salle de lecture du SHD, à Vincennes.

Toutefois, les données contenues dans ces dossiers (infractions, enquêtes, condamnations, notamment) étant considérées comme sensibles au regard de la loi du 6 janvier 1978, leur mise en ligne excède le cadre défini par la délibération de la CNIL du 12 avril 2012 portant autorisation unique de traitements de données à caractère personnel contenues dans des archives publiques aux fins de communication et de diffusion par des services d’archives publiques.

La mise en ligne de la base de données des fusillés a donc été réalisée après autorisation de la CNIL, dans une délibération en date du 10 juillet 2014. Il faut souligner que conformément à celle-ci, toute réutilisation commerciale de la base et des dossiers de fusillés est proscrite, de même que l’indexation collaborative. Par ailleurs, la délibération précise les la liste des données pouvant être indexées, mais en exclut toutes données sensibles, notamment les motifs de condamnation à mort. C’est pourquoi il est possible d’effectuer des recherches selon les critères suivants : nom, prénoms, date et lieu (commune, département, pays) de naissance, date et lieu de décès, grade et unité d’appartenance, classe, bureau et matricule de recrutement, mention « mort pour la France ».

Au terme de cette recherche, c’est l’intégralité des documents relatifs à chaque fusillé qui est offerte à la lecture de l’internaute : minute de jugement, dossier(s) de procédure ou fiche de décès.

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