Un nouveau guide des sources sur la Grande Guerre

11 février 2016

HalS4Depuis sa création, ce blog est écrit à quatre mains : celles de l’enseignant-chercheur et celles de l’archiviste. Cependant, cette dernière se faisait rare ces derniers temps, occupée à une autre tâche au service des sources de la grande guerre… Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je reprends le clavier pour parler d’un sujet qui m’est cher à plus d’un titre, puisqu’il s’agit de présenter un nouvel instrument de recherche (les archivistes en sont friands…), résultat d’un projet que j’ai copiloté pendant 4 ans. Je me livre donc ici à un exercice inédit et assumé d’auto-promotion et de réflexion sur la diffusion et la valorisation des sources 🙂 !

En 2012, les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine se sont lancées dans la réalisation d’un guide des sources concernant l’Ille-et-Vilaine et la Grande Guerre, volet archivistique d’un ensemble de manifestations destinées à commémorer le Centenaire. L’objectif initial était de faire un état des sources existantes un siècle après le conflit, avec un parti pris d’ouverture : outre les documents conservés aux Archives départementales, nous avons élargi le périmètre du recensement à d’autres institutions patrimoniales d’Ille-et-Vilaine, à l’ensemble des communes du département, de la plus petite à la plus grande, ainsi qu’à des institutions nationales (Archives nationales et services d’archives militaires principalement). Il s’agissait à la fois de favoriser une approche territoriale et de croiser des sources de différentes provenances. Ce faisant, nous ne prétendions nullement à l’exhaustivité, mais nous souhaitions rendre service aux personnes moins familières de la répartition des archives en France. Car s’il y a de plus en plus de sources en ligne, et, dans une moindre mesure, d’instruments de recherche également, il reste nécessaire de savoir où chercher, dans quel lieu de conservation et sur quel site internet. Nous avons donc souhaité orienter le public.

A propos, quel public ? On pense bien sûr aux chercheurs, historiens professionnels, universitaires, étudiants en histoire, qui sont plus ou moins rompus à la recherche et à la consultation des archives dans les salles de lecture. Nous nous adressons également aux amateurs de 14-18 ou aux simples curieux, qui sont moins familiers des principes de classement et de description des archives, mais qui ont investi le web (sur ce sujet, on peut regarder une vidéo de la présentation sur le devenir du patrimoine en ligne, dans le cadre du Labex Les passés dans le présent). Dès lors, nous avons imaginé un guide qui présente les sources bien sûr, mais qui aide aussi le public à les comprendre, à les resituer dans leur contexte, à évaluer leur intérêt, et à aller plus loin s’il le souhaite.

Quelle forme a pris ce guide ? Un guide des sources est un instrument de recherche décrivant des documents ou des ensembles d’archives consacrés à une thématique. Celui-ci est constitué de plus de 8500 notices descriptives organisées entre elles, hiérarchisées selon un plan thématique en trois volets :

  1. L’armée et les soldats : volet consacré aux affaires militaires et à l’univers du soldat, montrant la participation au conflit d’un département de l’arrière et les conditions de vie des combattants.
  2. L’arrière et les civils : volet davantage consacré aux civils, à la façon dont administrations et populations font face à l’état de siège et aux conséquences de la situation de guerre.
  3. L’après-guerre et la mémoire : volet consacré au retour à la paix pour les soldats et pour l’ensemble de la population, qui réapprennent à vivre ensemble, et à la transmission de la mémoire jusqu’à nos jours.

Ce plan était à l’origine inspiré du guide de recherche publié par les Archives de France en 2014 : il nous semblait en effet intéressant de tenter une déclinaison locale, adaptée à la spécificité des sources dans un département de l’arrière. Nous tenions également à éviter la présentation classique par lieu de conservation, par grande série du cadre de classement des archives ou par fonds : un plan thématique offrait davantage de possibilités de repérage, de rapprochement et de mise en relief des sources, notamment pour les milliers de documents provenant des communes.

Le guide respecte les normes de description en usage… enfin, autant que possible, dans la mesure où on a repris des milliers de notices descriptives préexistantes, sans avoir le temps de les compléter ou de les réécrire. L’essentiel était que les notices puissent être comprises par des humains et réutilisées par des ordinateurs ! Chaque notice contient un intitulé, des dates, une référence (la cote), un producteur des documents, un niveau de description des documents (dossier, sous-dossier, série…), des termes d’indexation, un lieu de conservation et quelques autres champs. Rien que de très classique : certains auront reconnu la norme internationale ISAD-G.

Mais j’entends sourdre l’impatience : on voudrait le voir, ce guide ! oui je sais, 8 500 notices ISAD-G, ça fait rêver… Ce guide est désormais accessible à tous, gratuitement, puisqu’il a pris la forme d’un site internet, ou plutôt il constitue la matrice d’un tout nouveau site internet destiné à accueillir d’autres outils du même genre à terme. L’Histoire à la Source est son nom. Je vous épargne les explications sur le jeu de mots et je vous invite à vous y perdre…

HalS blog 2

Si vous voulez savoir comment nous avons procédé, je relève le défi de résumer quatre années de travail en quatre étapes :

  • Etape 1 – Le recensement des sources : dans la fourmilière des Archives départementales, une dizaine d’archivistes a participé au signalement de sources, à partir des répertoires existants et en contrôlant le contenu de centaines de boîtes, au cas où (exemple d’un scrupule d’archiviste : dans ces caisses portant une numérotation provisoire, se pourrait-il qu’on trouve des documents concernant la guerre ?…bonne pioche, des centaines de dossiers de contributions extraordinaires sur les bénéfices de guerre !). Pour ce qui est des sources communales, nous avons repris le contenu des répertoires des archives des communes dont les fonds avaient déjà été classés et nous avons sillonné le département à la recherche de sources inédites dans les communes dont les archives n’étaient pas encore classées.
  • Etape 2 – La constitution des chapitres du guide : nous avons ordonné toutes ces notices selon un plan à plusieurs niveaux, que nous avons ajusté jusqu’au dernier moment. Et nous avons procédé à la sacro-sainte indexation ! pour que l’usager obtienne des réponses à ses requêtes, sans être assourdi par le « bruit », il en faut des questionnements préalables d’archivistes sur les termes à retenir, le niveau à indexer, les règles d’écriture, …
  • Etape 3 – L’enrichissement par des contenus historiques ou méthodologiques et des illustrations : afin de mettre en valeur la matière brute que constituent les notices descriptives, nous avons rédigé, pour chacune des 24 thématiques, une introduction présentant le sujet ainsi que la diversité des sources, leur intérêt ou leurs limites, avec quelques références de sources complémentaires et bibliographiques. Des développements ont été apportés pour définir des notions (l’état de siège, les allocations aux familles de militaires, …), présenter des producteurs d’archives (les conseils de guerre, l’administration des anciens combattants, …), des typologies documentaires (livrets individuels et livrets matricules, rapports de préfets, …) : autant d’éclairages qui doivent permettre à l’internaute, quelle que soit sa connaissance de l’histoire et des archives, d’acquérir quelques notions sur l’administration des hommes et d’un département en guerre, et d’évaluer l’intérêt des archives, avant une éventuelle consultation des documents. Car ce site internet n’est pas une banque d’images, un site d’ « archives en ligne » : il aide les internautes à devenir « lecteurs », à préparer la consultation éventuelle des documents, dont une infime partie seulement est en ligne. Je nuance mon propos : nous avons tenu à « égayer » cet instrument de recherche en l’illustrant de-ci de-là de reproductions de documents. Ces derniers n’ont pas forcément été sélectionnés en vertu de leur qualité esthétique, mais plutôt parce qu’ils donnent à voir la richesse de contenu possible de certaines typologies documentaires.
  • Etape 4 – La conception du site internet : jetant un voile pudique sur les doutes, les moments de solitude et les obstacles qui ont ponctué la mise en oeuvre technique de ce projet, je n’évoquerai ici que la prestation effectuée par l’agence Limonade and Co, qui a été retenue pour donner à nos contenus une vitrine sur le web. Nous avons été quelque peu bousculé-e-s, nos données ont été triturées (entre xml-ead et dublin core), questionnées, mises en valeur (on partait de tableaux Excel…), pendant dix mois dans la bonne humeur et la rigueur… Tout ça pour quoi ? pour améliorer l’ « expérience utilisateur » !

L’ « expérience utilisateur »

Ce nouvel outil s’appuie sur les deux logiciels libres Atom et Omeka. Le foisonnement de notices et la grande diversité des sources risquant de dérouter l’internaute, nous voulions un outil aussi intuitif que possible et offrant diverses possibilités de navigation et d’interrogation. Je les résume brièvement, pour expliquer notre démarche. D’une part, il est possible d’entrer dans le guide par le plan ou par une thématique et de le parcourir comme on le fait classiquement sur papier ou dans certains instruments de recherche en ligne ; et quand on consulte une notice, on peut à tout moment la situer dans l’arborescence. L’archiviste est donc rassuré !

Mais heureusement il n’est pas indispensable de comprendre l’architecture du guide pour l’utiliser ! On sait pertinemment que l’internaute cherchera rapidement un moteur de recherche pour interroger le guide : nous voulions donc un moteur de recherche unitaire plein texte, complété par les termes d’indexation, et interrogeant l’ensemble des ressources du guide (notices, références, bibliographies…). Une recherche avancée est tout de même proposée à ceux qui veulent limiter le nombre de résultats (car le « bruit » peut agacer). L’un des atouts de l’outil, à mes yeux, réside dans les filtres à facettes, qui permettent d’affiner les résultats en temps réel (exemple d’une recherche sur les réfugiés serbes à Vitré). De manière générale, on a voulu permettre à l’internaute de faire des détours, d’emprunter des voies parallèles, de rebrousser chemin, d’explorer les environs, de prendre le temps de se repérer, de passer d’une autoroute à un chemin vicinal ! La sérendipité est encouragée ! L’agent de circulation Google devrait même contribuer à orienter les internautes égarés vers Histoire à la Source. Et pour filer la métaphore routière, il est également possible de visualiser sur une carte les lieux de conservation des documents à l’issue d’une requête : si la géolocalisation n’est pas indispensable à la recherche, elle n’en est pas moins entrée dans les usages, elle attire le regard et peut changer des perspectives.

L’ensemble des fonctionnalités que nous proposons visent à optimiser les recherches et à rendre l’expérience agréable. Je suis convaincue que les archivistes ne peuvent s’arrêter à la seule mise à disposition d’informations, mais ont tout intérêt à envisager de nouvelles formes de collaboration avec les publics et à proposer de nouveaux services. C’est ce que nous avons voulu tester, afin d’encourager l’exploitation et la réutilisation de nos données. Nous avons commencé modestement :

  • parmi les petits plus qu’offre Histoire à la Source, on peut citer la possibilité désormais courante pour le chercheur de constituer un panier à partir des notices qui l’intéressent, et surtout de télécharger ces notices (en pdf ou en csv, soit un format réutilisable) et de les annoter.
  • la dimension participative n’est pas absente, même si elle est encore balbutiante. Nous invitons les internautes à nous signaler des erreurs ou des compléments à apporter à des notices ou à des bibliographies, ainsi que des sources manquantes voire des illustrations afin d’enrichir cet outil collectif. L’archiviste garde la main sur la rédaction des notices, en raison de la technicité requise, mais nous espérons nouer des échanges fructueux. C’est même pour cela que nous avons fait exprès d’oublier certaines sources … Blague à part, l’outil est évolutif et nous avons conscience de ses défauts et limites : il serait dommage de se priver de l’améliorer sur le fond comme sur la forme !
  • d’ici peu, nous proposerons des expositions en ligne, pour valoriser différemment les sources recensées. Surtout, nous proposerons aux internautes de concevoir eux-mêmes leurs expositions, à partir de notices du guide, et en y ajoutant autant de texte et de documents qu’ils souhaitent. Nous avons commencé à présenter cette fonctionnalité au monde enseignant, parce que nous aimerions voir des classes ou des groupes d’élèves utiliser cet outil que nous mettons à leur disposition pour créer et publier des exposés, par exemple dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires.

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Bref (ça sent enfin la conclusion…), nous espérons que les internautes vont s’approprier cet outil, sur la durée, bien au-delà de la période des commémorations et pas seulement pour travailler sur la Grande Guerre : c’est l’histoire d’un département et d’une population au début du XXe siècle qui peut être étudiée au moyen des sources présentées dans ce guide.

Je voudrais terminer ce long article sur une note plus personnelle. J’ai aimé mener ce projet passionnant et très formateur, au coeur des problématiques actuelles liées à la diffusion du patrimoine (voir le billet consacré à la journée d’études « Les publics en ligne des archives et des bibliothèques patrimoniales » sur le blog Patrimoine et numérique). Je profite de la liberté que m’offre « notre » blog pour remercier sincèrement nos partenaires d’autres institutions ainsi que le co-auteur de ce blog (qui ont contribué au recensement des sources), Benjamin Suc et Christophe Jacobs (Limonade and Co), les collègues des Archives départementales qui ont joué le jeu dans la durée, et bien sûr ma complice et copilote sur tout ce vol long courrier, Anne-Lise Mikès.

***

Pour en savoir plus sur le contenu et la structure du site L’Histoire à la Source et du guide des sources de la Grande Guerre, on peut lire le contenu des menus Savoir, Utiliser, Participer.

Un commentaire

  • Eric 15 février 2016 à21:55

    archives.histoirealasource.ille-et-vilaine.fr est tout aussi éclairant ! Bravo

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