Numériser et mettre en ligne les registres matricules : l’exemple des Archives départementales de la Drôme

30 septembre 2012

Fiche matricule d’Adrien Bertrand (voir la biographie ci-dessous)
Archives départementales de la Drôme, 1R284

A l’heure où nombre de services d’archives départementales numérisent les registres matricules pour les mettre en ligne sur leurs sites Internet, le directeur des Archives départementales de la  Drôme, Benoît Charenton, a bien voulu nous présenter les motivations, les préparatifs et la mise en œuvre de ce type d’opération, qui contribue à la diffusion du patrimoine écrit conservé dans le réseau des archives publiques.

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Numériser les registres matricules, pour le conservateur qui en a la charge, c’est d’abord l’occasion de se replonger dans ces gros registres livrés chaque année, par porteur militaire, dans les archives départementales. Soixante-dix ans après avoir été ouverts, ils retournent dans leur département d’origine, porteurs de tous les « bons pour le service » d’une classe, soit l’ensemble des jeunes gens recensés au cours de leur vingtième année et déclarés aptes à remplir leurs obligations militaires.

Leur reliure fatiguée cache des pages remplies de précieuses informations sur la carrière de nos aïeux sous les drapeaux, à des époques où le fait militaire exerçait sur les individus une emprise que l’on a peine à imaginer aujourd’hui.

Arrivées à vingt ans au régiment, les recrues y effectuent un service actif de deux à cinq ans suivant les époques et les aléas du tirage au sort. Le registre fournit le détail de leurs affectations, de leurs périodes d’exercice, de leurs décorations et condamnations éventuelles, voire de leurs campagnes jusqu’à leur libération définitive des obligations militaires, en sortant de la réserve territoriale, entre 45 et 47 ans. On y trouve aussi quelques renseignements d’état civil et, surtout, une description physique sommaire du conscrit (c’est l’un des seuls documents, avec les passeports, qui la fournisse). Des tables alphabétiques en fin de volumes, ou conservées à part à depuis 1882, permettent d’accéder au numéro matricule de chaque homme.

Au-delà de ces informations irremplaçables pour le généalogiste, on imagine aisément les fructueuses études statistiques que le chercheur peut tirer de ces pages, pour tenter par exemple de cerner plus précisément, à l’échelle d’une commune ou d’un département, quel fut le profil des soldats engagés dans la Grande Guerre.

Une opération nationale

A l’approche du centenaire de la mobilisation générale d’août 1914, les services d’archives départementaux, sous l’impulsion du service interministériel des Archives de France, travaillent à mettre en ligne les registres des classes 1887 à 1921. Toutes les fiches des hommes ayant participé au conflit seront ainsi rendues publiques, depuis les rappelés de la territoriale de 1914 jusqu’aux soldats engagés dans les opérations du front oriental après 1918. Comme la plupart des services d’archives, les A.D. de la Drôme ont fait le choix de numériser leur collection complète depuis l’origine, en 1867, en incluant les registres de la garde nationale (1867-1871).

Les fiches des classes les plus anciennes sont assez peu détaillées – quatre hommes cohabitent sur une double page – et peu retouchées après la fin du service d’active, sauf pour quelques engagés volontaires à la carrière plus longue. Mais la masse des informations collectées sur chaque individu s’accroît au fil des ans. A partir de 1878, chacun a droit à une pleine page individuelle, de plus en plus surchargée d’annotations et de rajouts à l’approche du XXe siècle.

C’est que la Grande Guerre, en mobilisant les hommes jusqu’à 47 ans, entraîne un surcroît d’administration paperassière : le changement est patent à partir de la classe 1887, la plus ancienne mobilisée dans le premier conflit mondial.

Numériser pour protéger les registres originaux

Faute de place suffisante dans les cases prévues, on utilise des « retombes », ces feuillets  supplémentaires collés sur les pages. Certaines sont dépliables et permettent d’accéder sans peine au texte qui se trouve en-dessous ; d’autres, collées aux quatre coins, l’occultent complètement. Dans certains cas, le texte caché a été fidèlement recopié sur le feuillet de retombe. Parfois, le décollage apporte des surprises car la retombe ne résume qu’incomplètement les informations qu’elle cache. Volonté de ne recopier que l’essentiel ? Tentation d’occulter certains éléments, notamment des mentions disciplinaires amnistiées par la suite ? Il faudrait connaître en profondeur les habitudes des greffiers militaires pour percer complètement à jour la raison de certains de ces papillons collés au papier gommé.

C’est la présence de ces retombes, de plus en plus nombreuses au fil des ans, qui rend complexe la numérisation des registres matricules. Les registres arrivent souvent abîmés par l’usage et les manipulations répétées des lecteurs aggravent leur état. Outre la préparation matérielle « classique » du document avant reproduction (dépoussiérage, mise à plat des feuilles cornées, consolidation des déchirures, démontage de la reliure dans certains cas), l’enjeu est de restituer aussi complètement que possible les informations présentes sur la page. Cela implique parfois de décoller certains feuillets porteurs d’un résumé succinct qui cachent des informations plus précises. Aux Archives de la Drôme, deux personnes ont consacré plusieurs semaines à cette tâche.

La même prudence s’impose à l’opérateur de numérisation qui doit prendre à la file autant de vues que nécessaire pour rendre compte de toutes les informations présentes sur la page : retombe abaissée, puis relevée. Un troisième cliché est parfois nécessaire quand la retombe est elle-même repliée. Il est donc à peu près impossible de connaître à l’avance le nombre exact de vues qui seront réalisées puisqu’une page peut faire l’objet de plusieurs clichés. On se bornera prudemment à une estimation comprise entre 1,3 et 1,5 clichés pour une page pour un registre riche en retombes. Dans la Drôme, l’estimation est de 162 000 vues environ pour 272 registres et 76 tables, soit 19,20 mètres linéaires.

Numériser pour rendre accessible

Peu de services d’archives disposent des caméras de numérisation de format A 1 nécessaires à la prise de vue des registres matricules. La plupart du temps, un marché est donc passé auprès d’un prestataire spécialisé qui réalisera la prestation pour environ 0,20 € H.T. la page. Le ministère de la Culture peut heureusement accorder des subventions qui allègent le budget des départements qui financent l’opération.

Les précieux registres reprennent alors le chemin d’un atelier de numérisation, à moins qu’on ne préfère faire venir sur place le prestataire et son matériel – une solution légèrement plus onéreuse mais qui a été choisie dans la Drôme, car elle permet plus de souplesse dans la validation des lots d’images et le traitement des corrections. Les deux opérateurs qui se relaient dans nos murs produisent entre 6 et 7000 images par semaine Il convient ensuite de les vérifier avec soin pour s’assurer qu’aucune retombe n’a été oubliée par mégarde… quoi de plus frustrant que de contempler, sur son écran d’ordinateur, une photo de fiche matricule avec un feuillet rabattu qu’on ne peut soulever ! A un rythme accéléré, si la numérisation a été bien faite, il est possible de vérifier un gros registre de 500 pages en une heure environ…

Certains choisissent, en plus, de faire indexer nominativement chaque feuillet : au prix d’un surcoût important (50 % du montant global de l’opération), on obtient alors un accès direct à la fiche matricule, sur le modèle proposé par le site Mémoire des hommes. Mais on peut aussi laisser à l’internaute le soin (ou le plaisir?) de commencer sa recherche en compulsant les tables alphabétiques…

Après validation définitive, il ne restera plus qu’à mettre en ligne ces dizaines de milliers d’images, classées par année et par bureau de recrutement, et à guetter la réaction de l’internaute, prompt à débusquer l’erreur ou l’oubli… mais aussi, fort heureusement, à témoigner sa satisfaction de voir ainsi ses recherches facilitées.

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Adrien Bertrand est né à Nyons (Drôme) le 4 août 1888. Collaborateur de nombreux journaux (L’Homme libre, Paris-Midi, L’Economiste français) et poète, il est le fondateur de la revue Les Chimères. En août 1914, Bertrand est mobilisé dans la cavalerie, en qualité de sous-officier d’abord puis d’officier et il s’illustre à plusieurs reprises au cours de reconnaissances. Il tombe gravement malade, ce qui lui vaut d’être réformé. Malgré les souffrances, il se consacre à l’écriture et reçoit le Prix Goncourt pour Appel du sol en 1916. Il s’éteint à Grasse le 18 novembre 1917.

3 commentaires

  • Saillard Nicole 27 octobre 2013 à13:15

    Bonjour, J’ai en ma possession des lettres cartes postales écrites etc d’un membre de ma famille qui est mort au combat de la grande guerre. J’ai entendu que vous etiez à la recherche de nouveaux documents…Je suis prete à m’en séparer …..pour la bonne cause. J’habite dans l’Essonne….Ou puis je me rendre pour déposer ces archives. Remerciements,

  • delaye 22 juin 2014 à16:55

    Bonjour,
    avant de tout donner aux archives départementales faites en des scans afin de nous faire profiter de ces lettres ou essayer de me joindre par mail « gelule26orange.fr »
    Cordialement
    Jean Marc

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