Ernst Johannsen et les Quatre de l’infanterie

9 décembre 2012

J’ai récemment découvert le livre d’Ernst Johannsen, Quatre de l’infanterie. Je connaissais le film de guerre allemand directement inspiré du roman : Westfront 1918, réalisé par Georg Wilhelm Pabst en 1930, est connu en France sous le titre Quatre de l’infanterie. Il y a quelques années, il a été diffusé dans l’émission le Cinéma de minuit sur FR3, à l’occasion d’un cycle Première Guerre mondiale. Pabst a réalisé une œuvre cinématographique proche du documentaire. Pendant plus d’une heure trente, le spectateur suit le quotidien de quatre soldats allemands sur le front de l’ouest en 1918. Les bruits de la guerre (bombardements, explosions, coups de feu, cris) remplacent une musique quasiment absente et couvrent des dialogues rares et courts (voir ici un extrait du film Quatre de l’infanterie). Ce film pacifiste est, à mon avis, l’un des meilleurs films consacrés à la Grande Guerre.

La découverte récente du roman m’a amené à m’intéresser au mystérieux Ernst Johannsen et à ses traducteurs. Le livre est très bien présenté par Arnaud Carrobi sur son blog Le parcours du combattant de la guerre 1914-1918. La version française du roman a été publiée aux Editions de l’Epi à Paris en 1929 et la traduction est l’oeuvre d’Émile Storz et de Victor Méric. Le journaliste et écrivain Victor Méric (1876-1933) a milité au parti communiste de 1920 à 1923 puis au sein de l’Union socialiste-communiste avant de fonder la Ligue internationale des combattants de la paix. Nicolas Offenstadt est l’auteur d’un intéressante notice biographique dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français et d’un mémoire de DEA sur Méric.

En revanche, Johanssen nous est moins connu. Quelques informations biographiques sont contenues dans un manuel bio-bibliographique allemand (Die Autoren und Bücher der deutschsprachigen Literatur zum 1. Weltkrieg 1914-1939. Ein bio-bibliographisches Handbuch), dans une notice de la Deutsche Nationalbibliotek et dans un livre de Victor Méric intitulé La guerre qui revient fraîche et gazeuse !, publié aux éditions Sirius en 1932 et disponible sur Gallica. Johannsen est né à Hambourg-Altona le 28 mai 1898. En 1914, il est trop jeune pour être mobilisé. Malgré une santé fragile, il est finalement appelé aux armées et sort indemne de la guerre. Électricien de formation, il se consacre à l’écriture dès le début des années 1920. Il reconstitue notamment ses souvenirs de guerre et c’est ainsi que prend forme, peu à peu, le roman Vier von der infanterie, ihre letzten Tage an der Westfront 1918, publié à Hambourg en 1929. Pour l’adaptation française, l’auteur a beaucoup aidé Émile Storz à traduire le texte en français. Dans le même temps, Johannsen s’engage dans le mouvement pacifiste. Victor Méric rapporte que Johannsen prend la parole dans un meeting pacifiste organisé par la Ligue internationale des combattants de la paix, le 18 avril 1931. Présidée par le journaliste et militant pacifiste Georges Pioch (1873-1953), la manifestation se tient à la salle Wagram, à quelques pas de l’Arc de triomphe. Ce jour-là, de nombreuses personnalités, liées au mouvement pacifiste, prennent la parole : le journaliste et homme politique français Marc Sangnier (1873-1950) ; la journaliste Marcelle Capy (1891-1962), féministe et pacifiste ;  Pietro Nenni (1891-1980), homme politique italien ; le militant socialiste Gilbert Nowina (1893-1976) ; l’écrivain communiste allemand Rudolf Leonhard (1889-1953), co-fondateur de la Ligue internationale des combattants pour la paix et co-président, avec Albert Einstein, de la section allemande de la ligue. Tout comme Victor Méric, Johannsen s’adresse aux 4 000 personnes rassemblées dans la salle : il prononce un discours dans lequel il fait part de son horreur des massacres et dit apporter « à ses frères de France le salut de l’Allemagne pacifiste« .

En raison de son engagement, Johannsen quitte l’Allemagne en 1933 après l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Il s’installe à Londres et ne retourne en Allemagne qu’en 1957. Il décède à Hambourg le 1er novembre 1977. On lui doit d’autres romans parmi lesquels Allo !… Ici central de brigade en 1931 et Cheval de guerre, un roman mettant en scène des chevaux pendant la Première Guerre mondiale. Traduit de l’allemand par A. M. Cabrini et Victor Méric, ce roman original sur des animaux dans la guerre a été publié en France en 1930.

Il faut lire Quatre de l’infanterie et voir Westfront 1918 (à condition de le trouver…). C’est un récit noir et désespéré. Le livre de Johannsen dépeint le quotidien de quatre soldats plongés dans l’enfer et unis par une forte amitié en dépit de leurs différences. C’est le témoignage d’un combattant sur la guerre. Mais c’est aussi un livre qui montre combien la société européenne, qui croyait dans le progrès de l’humanité avant la guerre, sort totalement anéantie et déçue :

« – Calculez donc tout ce qu’on a creusé, toutes les tranchées, les tombes et les sapes, toutes les positions d’artillerie, toutes les mines… – Nom de nom, messieurs, ajoute Lornsen, avec un tel effort, nous aurions pu creuser un canal à travers l’Europe. L’humanité gaspille son superflu sous forme de guerres. Les millions de tonnes de ferraille qui gisent sur le front occidental sont fichus, tandis qu’un vieux pont peut au moins encore être refondu. Je propose à messieurs les savants d’étudier le problème de l’utilisation des cadavres d’hommes. Calculez-moi combien pèse un million de tués. Disons cent cinquante millions de livres. C’est tout de même un superbe gâchis que de laisser perdre ainsi cette belle viande. – Console-toi, vieux sanguinaire, lance Job, railleur, les arbres pousseront mieux ici, plus tard. Les fleurs se multiplieront en abondance (…) « .
 
 

 

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