La Révolution russe est souvent présentée comme l’un des principaux jalons de l’histoire du XXe siècle. Au lendemain du coup d’état bolchevique en octobre 1917, la Russie se désintègre dans une guerre civile, qui dure de l’automne 1917 à l’été 1922. Cette guerre civile, qui ne saurait se réduire à l’affrontement des rouges et des blancs, provoque la destruction et la ruine de l’ancien empire des tsars. Les combats, les exactions, les pillages, les famines, les régimes de terreur, le froid, les maladies font plus de 10 millions de victimes.
Jusqu’à présent, aucune synthèse n’avait été publiée en France sur cet épisode tragique de l’histoire russe. Historien et haut fonctionnaire, Alexandre Jevakhoff (Les Russes Blancs chez Tallandier et Le roman des Russes à Paris aux éditions du Rocher) publie cette première étude française à partir des archives russes notamment. Nous lui avons posé quelques questions afin de mieux connaître les matériaux qui ont nourri ce travail historique.
Aujourd’hui, la guerre civile russe est méconnue en France. Qu’en est-il en Russie ?
La guerre civile a toujours suscité un intérêt considérable en Russie, représentant en quelque sorte le geste fondateur de l’URSS, au moins jusqu’en 1945, quand le stalinisme et l’effet des années passées ont conféré ce rôle à la « Grande guerre patriotique » – la Seconde Guerre mondiale dans le vocabulaire occidental.
Cette fonction totémique n’est naturellement pas neutre en termes de sources. Pour simplifier, si jusqu’aux années 1925, existe une littérature aussi objective que possible, l’historiographie soviétique est marquée jusqu’à la fin de l’URSS par une propagande systématique, transformant tout travail scientifique en un tract politiquement correct, avec son quota de citations de Lénine. Au fur et à mesure des années et des éditions, tel ou tel livre de mémoires bénéficie ainsi d’adaptations ou de réécritures, y compris pour les œuvres complètes de Lénine. Bien entendu, au cours de cette période, l’accès aux archives est particulièrement contrôlé, tout particulièrement pour les chercheurs étrangers, avec les documents les plus sensibles conservés dans des archives spéciales placées auprès du comité central du parti communiste.
La fin de l’URSS libère complètement l’accès aux archives, au moins pendant quelques années, et fait apparaître une nouvelle génération d’historiens russes décidée à réécrire l’histoire de la guerre civile selon des critères scientifiques et non plus idéologiques ; j’en ai rencontré plusieurs pour la rédaction de mon ouvrage, qui leur doit beaucoup.
Des fonds liés à la guerre civile russe sont conservés à la BDIC. Quelles sont les origines de ces archives et que contiennent-elles ?
Le point de départ de la BDIC est la création pendant la Première Guerre mondiale d’un service de presse militaire chargé de suivre la presse, de collationner les informations ainsi publiées et de les soumettre à une synthèse. J’ai donc pu ainsi avoir accès à une bonne partie de la presse russe, principalement de Petrograd et de Moscou, pour 1917 et 1918. Par ailleurs, la BDIC dispose de fonds personnels, soit de civils ou militaires français qui servent alors en Russie et de Russes qui, pour telle ou telle raison, sont proches des Français et qui, postérieurement, ont – ou leurs descendants – cédé leurs « papiers » à ce fonds russe, qui constitue pour les chercheurs une richesse unique. Enfin, la BDIC dispose d’un fonds d’affiches exceptionnel, consultable aux Invalides. Quand on sait l’importance de ce moyen de communications pendant la guerre civile, ces affiches constituent une source de premier ordre, d’autant plus que sur le plan graphique ou de la scénographie, ce sont souvent de petits chefs d’œuvre.
Vous avez utilisé le fonds R des archives gouvernementales de la Fédération de Russie à Moscou. De quoi s’agit-il ?
Dans les archives gouvernementales de la Fédération de la Russie (GARF) [des inventaires électroniques en russe sont disponibles sur le site internet du GARF] à Moscou, les sources susceptibles d’intéresser l’auteur d’une Guerre civile russe sont innombrables. Beaucoup ont été utilisées, notamment par ces historiens russes contemporains dont j’ai déjà parlé. Dans ces conditions, j’ai privilégié les « manquants », tout particulièrement sur des sujets que je voulais tout particulièrement développer. Je pense ainsi aux fonds concernant les « gouvernements » de Denikine et de Koltchak; indépendamment des opérations militaires, je souhaitais mieux comprendre comment les forces blanches avaient organisé – ou pas – leur administration et conduit, par exemple, les politiques de ravitaillement et encore de rémunération de leurs agents. J’ai également utilisé le fonds du ministère de l’Intérieur, qui suivait, mois après mois, l’état des stocks de céréales dans chaque province, une information importante pour le déclenchement des évènements en février 1917, puis tout au long des années 1917-1918.
Vous n’avez pas pu consulter les archives du FSB, lointain héritier de la Tchéka. Savez-vous ce que contiennent les archives de ce service ?
Concernant les archives de la Tchéka, aujourd’hui conservées par le FSB, je n’ai pas eu accès à un fonds particulier, celui mentionné par un journaliste des Izvestia qui, dans un article de juillet 1995, écrivait avoir alors ce fonds entre les mains. Pour le reste, c’est-à-dire d’autres fonds, je n’en sais rien. A lire certains livres russes, je comprends que des historiens russes ont pu utiliser ces archives. Certains de ces historiens sont d’anciens officiers des « organes », mais pas tous.
Alexandre Jevakhoff, La Guerre civile russe (1917-1922), Paris, Perrin, 2017, 687 p.
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