Les grandes batailles de la Première Guerre mondiale sur le front de l’Ouest ont en commun d’avoir des bornes chronologiques indéterminées, des limites géographiques floues, jusqu’à plusieurs appellations pour une même bataille. Au début de l’année 1918 et contrairement à l’Yser, l’Oise, l’Aisne ou la Somme, la Marne, obstacle naturel pour un envahisseur venant du nord, a été le théâtre d’une seule grande bataille en septembre 1914. Depuis, pour l’opinion publique française, travaillée par la propagande, la bataille de la Marne s’est muée en un miracle, une bataille mythique et unique. Inconnue des Européens et peu connue des Français, cette rivière de 525 km entre dans l’histoire de la France et de l’Europe en 1914. En juillet 1918, la Marne a de nouveau rendez-vous avec l’histoire….. Avec quatre années d’écart, ces deux batailles sauvent le camp des Alliés. Pourtant, après la guerre, le succès de 1914 éclipse celui de 1918 dans la mémoire collective française. Si les deux batailles se distinguent sur de nombreux points, il faut néanmoins, comme l’écrit François Cochet, « penser la seconde bataille de la Marne en résonance avec celle de 1914 ».
Deux tournants de la guerre aux conséquences différentes.
La seconde bataille de la Marne est nommée ainsi en écho à la bataille de 1914 et sous-entend que la Marne mythique sauve à nouveau les Alliés de la défaite en 1918. Toutefois, les conditions et les lieux diffèrent grandement. En 1914, la Marne est au centre d’un affrontement gigantesque impliquant 2 millions d’hommes de la Meurthe à l’Oise, soit sur plus de 200 km, tandis que le 15 juillet 1918, les Allemands attaquent sur un front d’une centaine de kilomètres de Château-Thierry dans l’Aisne à Massiges dans la Marne. Comme en 1914, l’offensive allemande est suivie d’une contre-offensive alliée le 18 juillet. Cependant, celle-ci s’étend de Bouresches à Pernant dans l’Aisne, soit le long d’une ligne de 55 kilomètres perpendiculaire à la Marne.
Les conditions sont très différentes même si les deux batailles symbolisent la guerre de mouvement. En 1914 comme en 1918, les Allemands tentent un vaste et puissant mouvement d’enveloppement. La première et la seconde Marne sont également des batailles d’arrêt puisque dans les deux cas, l’armée allemande est contrainte d’interrompre sa progression puis de se replier derrière l’Aisne. Cependant, les conditions de la contre-offensive alliée sont très différentes. En septembre 1914, Britanniques et Français, après une retraite harassante, s’engagent timidement dans la poursuite de l’armée allemande en retraite. Cette bataille sur un front large, qui comprend plusieurs opérations, aboutit à un succès qui ne peut pas être exploité et qui débouche sur l’immobilisme. En revanche, à l’été 1918, après les coups de boutoirs allemands du premier semestre, le général Foch, commandant en chef allié, ordonne avec détermination une contre-offensive menée par les généraux Mangin et Degoutte. Les Alliés débouchent de la forêt de Villers-Cotterêts, dans le flanc de la poche allemande de Château-Thierry, et obligent l’armée allemande au repli. Toutefois, si la progression est rapide au cours des premières heures, les Alliés piétinent et sont par la suite contraints de livrer de durs combats pour libérer Soissons le 2 août 1918.
Sans être décisives sur l’issue de la guerre, les deux batailles sont incontestablement des tournants dans le déroulement de la guerre, avec des conséquences différentes. Au lendemain de la Marne, menacée par la défaite, la France tient et son armée reprend confiance. La guerre n’est pas perdue, mais elle n’est pas terminée. A l’été 1918, l’armée allemande échoue dans son objectif d’obtenir la décision sur le front de l’Ouest. Si elle n’est pas brisée, elle n’a cependant plus les moyens de passer à l’offensive. La victoire militaire semble compromise, même si la guerre n’est pas encore perdue pour l’Allemagne. Enfin, et contrairement à 1914, la 2e bataille de la Marne permet aux Alliés de reprendre l’initiative perdue en 1917 et de la conserver jusqu’à l’armistice.
La dernière bataille du XIXe siècle et la première bataille du XXe siècle ?
Sur le terrain, les deux batailles n’ont plus rien en commun. En 1914, les états-majors n’ignorent pas la puissance du feu de l’armement, mais ils misent sur une guerre courte. Ils savent que les pertes seront importantes mais elles le seront dans un temps court. En 1918, alors que toutes les armées connaissent une crise des effectifs, les états-majors ont intégré dans leurs réflexions la puissance du feu. Celle-ci s’est considérablement accrue depuis 1914. Elle permet de compenser, en partie, les pertes humaines des années précédentes. La guerre a évolué tant au plan tactique que technique. Le temps de préparation de l’artillerie est réduit mais les bombardements sont plus puissants, les armées ont adopté la défense en profondeur, les troupes d’assaut à l’instar des Sturmtruppen se sont développées et les soldats utilisent un armement de plus en plus puissant et destructeur (armes automatiques, armes collectives, etc.).
L’infanterie est principalement à la manœuvre en septembre 1914 tandis qu’en juillet 1918, le succès est obtenu grâce au déploiement de plusieurs centaines de chars Renault FT qui précèdent et accompagnent l’infanterie qui agissent en liaison avec l’aviation et l’artillerie. L’aviation, peu développée et dont le rôle est limité à l’observation en 1914, est nombreuse et ses missions sont plurielles en 1918. Elle se charge de la maîtrise du ciel et offre un appui tactique (mitraillage et bombardement) aux troupes au sol. Pour le combat d’infanterie, les Alliés éprouvent encore de grandes difficultés dans la mise en œuvre les techniques d’infiltration, contrairement à l’infanterie allemande. En revanche, ils maîtrisent de mieux en mieux le combat interarmes et interarmées. Toutefois, les troupes sur le champ de bataille manœuvrent encore difficilement en raison principalement de difficultés logistiques. Elles peinent à reconquérir le terrain perdu. Il faut aux Alliés plusieurs semaines en juillet pour reprendre le terrain perdu en quelques jours en mai.
Devenus des professionnels de la guerre, les soldats de 1918 ne sont plus les conscrits en pantalon rouge de 1914. Alors que le fantassin de 1914 manie principalement son fusil, celui de 1918 est devenu un combattant polyvalent capable d’utiliser une arme automatique, de l’artillerie d’accompagnement, une arme collective, des moyens de transmission, etc. Sur la Marne en 1914, les soldats français, britanniques, belges et allemands participent à la dernière grande bataille du XIXe siècle ; en 1918, les Américains, les Italiens, les Britanniques, les Français, les Allemands combattent dans la première grande bataille du XXe siècle.
Une nouvelle bataille des Nations en 1918 ?
Comparaison n’est pas raison. La bataille de la Marne est la première bataille européenne de l’histoire de France remportée par des Français avec des Britanniques. Elle est également la première « grande » victoire militaire française obtenue sur le continent européen depuis la fin du Ier Empire. Elle oppose des Français venus de métropoles et des colonies et des Britanniques aux Allemands. La 2e bataille de la Marne se distingue par le nombre de nations qui y participent puisque sur le champ de bataille s’affrontent des Allemands, des Américains, des Britanniques, des Italiens et des Français ainsi que des soldats venus des colonies. Au total, plus de 250 000 Français et Britanniques et 250 000 soldats allemands sont tués, prisonniers, blessés ou disparus en 1914 ; 130 000 Français, Britanniques, Américains, Italiens et 180 000 Allemands en 1918.
En 1914, la Marne épargne à la France une défaite, à l’Europe une domination allemande et brise l’image d’une armée allemande invincible. Pour les Allemands, en particulier les militaires, la Marne est la seule grande bataille de la Première Guerre mondiale. Dès septembre 1914, la bataille de la Marne est l’objet d’une intense propagande, de l’image d’Epinal des taxis de la Marne à la glorification de l’héroïsme des soldats français. Elle devient le miracle de la Marne dont le nom traverse le siècle au même titre que Verdun. Le général Joffre s’impose comme le sauveur de la Marne et du pays et il accède à un pouvoir quasi exclusif, même si une polémique émerge autour du mérite de ce succès. En septembre 1914, les gros bataillons de l’armée française et le courage de ses soldats permettent la « victoire » de la Marne. La seconde bataille de la Marne n’a pas eu la même postérité, notamment parce qu’elle est remportée par les Alliés. La contre-offensive, planifiée et conduite par des généraux français, est impossible à mettre en œuvre sans le renfort des grosses divisions américaines. Inconnue de la plupart des Français aujourd’hui, la seconde Marne fait pourtant écho à la première : comme en 1914, alors que la situation est difficile, les Allemands sont stoppés et repoussés. Ce succès vaut à son artisan incontesté, le général Foch, le bâton de maréchal, mais cette fois son pouvoir reste limité aux opérations militaires. Incontestablement, la seconde bataille de la Marne ouvre le chemin, encore long pense-t-on à l’époque, de la victoire.
Cet article a été publié dans un hors-serie de l’Union en juin 2018.
Un commentaire
Mon grand père, nous raconte que lorsqu’ils sont arrivés à Verdun ,ils marchaient sur les cadavres l’horreur les morts partout.