BD et histoire : « Le soldat inconnu vivant »

25 février 2013

En août 2002, l’historien Jean-Yves Le Naour publiait Le soldat inconnu vivant, l’histoire incroyable de ce soldat, Anthelme Mangin alias Octave Monjoin, amnésique et inconnu, découvert sur un quai de gare au début de 1918. Dix ans plus tard, cette étude historique est adaptée dans une bande dessinée cosignée par Jean-Yves Le Naour et par l’illustrateur et scénariste Mauro Lirussi. On peut écouter en podcast ici les réponses apportées par Jean-Yves Le Naour aux questions de Collin et Mauduit dans Downtown sur France Inter en décembre dernier (pour les plus pressés, l’interview commence au bout de 20’50 » d’émission). On peut également voir cette courte vidéo mise en ligne par les éditions Roymodus, qui permet de découvrir l’album en deux minutes trente.

Nous avons nous-même posé quelques questions à Jean-Yves Le Naour sur cette expérience originale d’écriture et de représentation de l’histoire.

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Pouvez-vous nous expliquer quelle a été la collaboration entre l’historien et le dessinateur ?

Quand on n’est pas à la fois auteur et dessinateur, la BD est un ouvrage collectif qui nécessite un vrai travail de collaboration. Il ne faut pas croire que les phylactères appartiennent à l’auteur et le dessin au dessinateur, les choses sont en effet plus compliquées : d’une part le dessin est aussi un texte ou un méta-texte qui dit quelque chose, même quand la vignette est muette, et d’autre part l’auteur imagine forcément la scène et la décrit quand il écrit son scénario. Aussi, dessinateur et auteur empiètent forcément l’un sur l’autre. Comme il s’agissait de ma première BD, j’étais particulièrement inexpérimenté et je crois qu’en tant qu’historien je voulais trop en dire, trop expliciter les choses. Or, dans la BD comme dans le cinéma, il ne faut pas nécessairement dire les choses mais les faire ressentir et donc laisser parler le dessin et se retenir de trop écrire. Mauro Lirussi a parfaitement su me recadrer : mes planches étaient trop longues et trop bavardes, il les a carrément dédoublées. De plus il a su glisser des transitions graphiques (une larme à la dernière vignette d’une planche, la pluie qui tombe à la première vignette de la planche suivante), là où mes transitions étaient surtout verbales. Donc, une BD c’est vraiment un travail à quatre mains.

Quelles ont été les principales sources de Mauro Lirussi ?

Non seulement Mauro a travaillé à partir de mon scénario mais il a lu mon livre (Hachette Littératures 2002, Pluriel 2008) pour en savoir plus. Il m’a demandé un peu de documentation iconographique sur les principaux personnages publics ou s’en est procuré en surfant sur internet. Mais comme le physique de la majorité des protagonistes nous est inconnu, c’est son imaginaire qui a parlé.

Qu’est ce qui différencie le livre d’histoire et la bande dessinée ?

La même chose qui différencie un livre d’histoire d’un roman ou d’un film. Dans une œuvre de fiction, on n’est naturellement pas tenu par le « vérisme », on prête des expressions, des sentiments aux personnages, des paroles qu’ils n’ont jamais prononcées, bref on se situe dans le champ du ressenti. Quand on fait de l’histoire, la limite du travail scientifique est celle des archives et uniquement des archives, il n’est pas question d’inventer quoi que ce soit, de créer une dramaturgie autre que celle du strict enchaînement des faits. La fiction c’est la liberté, l’histoire c’est la rigueur. Ceci dit, cela ne veut pas dire que mon livre soit sans émotion pour autant – un certain nombre de lecteurs m’ont dit qu’ils avaient versé des larmes en le lisant – et s’il a été adapté au théâtre, à la télévision et maintenant en BD c’est bien parce qu’il touche quelque chose en nous, il ne nous laisse pas insensible au spectacle de la souffrance des pauvres parents ou épouses qui ont perdu un fils ou un mari à la guerre. Mais c’est l’histoire incroyable et pitoyable de ce pauvre soldat inconnu vivant qui se suffit à elle-même. Avec la fiction, en l’occurrence la BD, on peut donner un sens à toutes ces vies gâchées, une morale, quitte à piétiner un peu la réalité historique. Après tout, Alexandre Dumas ne disait-il pas que l’on pouvait violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants ?

Planche Le soldat inconnu vivant

Aujourd’hui, que reste-t-il d’Octave Monjoin dans les archives en France ?

Deux petits dossiers aux archives départementales du Rhône et du Puy-de-Dôme et un gros dossier aux archives départementales de l’Aveyron, là où le pauvre inconnu a passé quinze années de sa vie, interné à l’asile de Rodez. Sa place dans les archives n’a pas changé. En revanche, depuis 2002, il a retrouvé sa place dans notre mémoire nationale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, à Saint-Maur (Indre), la ville dont il est originaire, la salle des fêtes s’appelle désormais la salle Octave Monjoin. Le « soldat inconnu vivant », qui a fait couler tant de larmes dans l’entre-deux-guerres et dont on n’a plus entendu parler après sa mort en 1942, est sorti de l’oubli. Ce n’est pas rien. Puisse cette BD contribuer aussi à son souvenir.

Le soldat inconnu vivant

Jean-Yves Le Naour, Le soldat inconnu vivant, Paris, Hachette littératures, 2002 (Pluriel, 2008).

Jean-Yves Le Naour, Mauro Lirussi, Le soldat inconnu vivant, Roymodus, 2012.

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