Pendant la Première Guerre mondiale, les captures de soldats ont été massives. En 1918, près de 7 millions de militaires sont prisonniers en Europe, en Outre-Mer et en Amérique du Nord. Les prisonniers français ont formé l’un des plus gros contingents de ces infortunés, puisque plus de 600 000 soldats français ont été retenus en Allemagne principalement, mais aussi en Bulgarie et en Turquie. En France, ces hommes ont longtemps été suspectés de non combativité, voire de lâcheté. Pourtant, les conditions de vie dans les camps ont été très difficiles, notamment en raison des privations, du manque d’hygiène, des maladies, du travail obligatoire ou encore des punitions. Plusieurs milliers d’entre eux sont morts en captivité. La nécropole nationale de Sarrebourg, où domine « Le Géant enchaîné » du sculpteur et ancien prisonnier de guerre Frédy Stoll, rassemble les corps de plus de 13 200 soldats français décédés en captivité (les noms ici sur MémorialGenWeb).
Les images concernant les prisonniers de guerre en captivité sont peu nombreuses. Elles sont rarement le fait des captifs et ont davantage servi la propagande des « geôliers ». Les cartes-photos ci-dessous en sont probablement un exemple.
Une fois n’est pas coutume, ces photos contiennent des informations précieuses inscrites sur l’écriteau placé au centre de chaque groupe.
On y apprend d’abord que ces hommes sont natifs de quatre villages du Cambrésis : les « enfants » de Saulzoir, de Beauvois [en-Cambrésis], de Fontaine [au-Pire] et « les » Avesnes-les-Aubert. Ils sont internés à Chemnitz, une ville de près de 300 000 habitants dans l’ouest de la Saxe. Pendant la Première Guerre mondiale, cette ville abrite un immense complexe composé d’un camp principal et de nombreux détachements. Des milliers de prisonniers militaires et civils de différentes nationalités (principalement français, italiens, russes et serbes) y sont employés dans des carrières, des usines (notamment de matériel ferroviaire et de machines à écrire) et des fermes des environs. Les groupes de soldats de Beauvois-en-Cambrésis et de Saulzoir ont été photographiés au même endroit, comme le laisse supposer l’arrière-plan des clichés 2 et 3. Ces deux clichés sont datés de 1916. On peut lire les mentions « campagne 1914-1916 » et « 1914-1916″ sur les écriteaux. Les trois cartes ont été retrouvées en France. La photographie de Saulzoir a été retrouvée à Saulzoir chez un parent de l’un des prisonniers, tandis que les deux autres ont été découvertes à Paris. Elles faisaient partie de la correspondance d’un prisonnier présent sur la photo. On peut imaginer que ces cartes ont été envoyées dans les familles des prisonniers pendant la guerre ou rapportées d’Allemagne par les prisonniers par la suite.
La dimension régionale de ces cartes-photos est indiscutable. Ces soldats sont natifs de la partie méridionale du département du Nord, qui est occupée par l’armée allemande dès 1914. Ils appartiennent majoritairement au 3e régiment d’infanterie territorial de Cambrai et du Quesnoy (Nord) et, pour certains, aux 145e et 345e régiments d’infanterie de Maubeuge, comme le montrent les numéros sur les uniformes.
Ils ont été capturés à Maubeuge le 8 septembre 1914 avec près de 50 000 soldats français, pour beaucoup natifs des départements du Nord de la France. Ces photos montrent que l’internement en Allemagne s’est probablement fait par unité constituée. Concernant les soldats de Maubeuge, on sait par exemple que ceux du 1er régiment d’artillerie à pied qui ont également été faits prisonniers ont été majoritairement envoyés dans les camps autour de Friedrichfeld en Westphalie. Il ne faut pas oublier que le recrutement est encore régional en 1914. Or, à partir de la fin de l’année 1914 et jusqu’à la fin de la guerre, le recrutement est de moins en moins régional. Parallèlement, les captures massives disparaissent sur le front de l’ouest. On ne retrouve donc plus ces regroupements de prisonniers originaires d’une même région.
Enfin, ces photographies ont été prises à une époque où les conditions de vie des prisonniers se sont considérablement détériorées dans les camps allemands. La correspondance entre les pays envahis et l’Allemagne est autorisée, mais sous certaines conditions. Les envois sont limités à une carte par mois, ils sont soumis à la censure allemande et seuls les échanges entre époux, parents, grands-parents ou frères et sœurs sont autorisés. Pourtant, selon toute vraisemblance, les Allemands ont encouragé cette pratique des photographies de groupes de prisonniers. En effet, de telles photographies n’auraient pu être prises par les prisonniers eux-mêmes, faute de matériel et sans l’autorisation et l’aide des autorités allemandes. Les Allemands ont probablement agi à des fins de propagande, à l’attention des populations des pays envahis, soumises à un régime d’occupation rigoureux. En recevant ces cartes-photos, les parents peuvent constater que les prisonniers ne sont pas isolés, qu’ils sont entourés des camarades du régiment et du village et surtout qu’ils ne sont pas maltraités. En effet, ces soldats paraissent bien portants, bien rasés, ont du tabac et portent un uniforme relativement en bon état malgré les deux ans de captivité.
Au total, ces cartes sont un instantané d’une captivité interminable et rigoureuse. Elles sont renseignées, localisées et datés, mais elles ne livrent pas tous leurs secrets. Seuls quelques hommes sont identifiés. Des recherches fastidieuses, dans les registres matricules et dans la Gazette des Ardennes, permettraient de retrouver tous les hommes de ces villages qui ont été internés à Chemnitz.
Quelques pistes pour approfondir la question des prisonniers de guerre :
- Une fiche des Chemins de mémoire est consacrée aux prisonniers de guerre 1914-1918.
- Le site internet Prisonniers de guerre français 1914-1918 offre de nombreuses ressources sur le sujet et en particulier sur les camps de prisonniers en Allemagne. L’onglet « où chercher un prisonnier » est très instructif.
- De nombreuses sources numérisées sont accessibles en ligne grâce au site de l’université d’Heidelberg. Il est notamment possible d’y consulter gratuitement la Gazette des Ardennes. Journal des pays occupés, qui contient des listes de prisonniers.
- Des archives relatives aux prisonniers de guerre (archives individuelles et collectives) sont conservées au Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), qui fait partie du Service historique de la Défense.
- Les archives du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sont incontournables.
8 commentaires
Bonjour Michael,
bravo pour votre blog !
Je me permets de revenir sur un passage de ce post : « Les images concernant les prisonniers de guerre en captivité sont peu nombreuses. Elles sont rarement le fait des captifs et ont davantage servi la propagande des « geôliers ». »
Je ne serais pas aussi tranchant. Selon moi, elles sont meme relativement courantes, ce qui n’a pas manqué de surprendre. Il peut s’agir de photos de groupes, avec les prisonniers photographiés avec leurs geoliers, ou bien de photos de prisonniers sans geoliers (généralement reconnaissables au fait qu’ils proviennent de différents régiments, voire de différents pays, et qu’ils portent sur leurs uniformes des étiquettes agrafées ou cousues), ou bien de photographies individuelles, prises dans un studio improvisé. Ce dernier type de photographie était très souvent envoyé à la famille du prisonnier sous forme de carte postale.
Bref, le matériel photographique ne manque pas; à l’inverse j’estime qu’il existe peu de la littérature sur le sujet (mémoires, articles, etc.).
Cordialement,
f-xavier
F-xavier,
Merci pour ce commentaire très intéressant qui donne des éclairages supplémentaires.
Cordialement,
M.
connaissez vous ce site extrèmement interessant :
http://chtimiste.com/
mes 2 grands pères ont fait la guerre, maternel en étant prisonnier (avec photo) et l’autre au front tout le temps de guerre.
selma cayol sorge
mon arrière grand-père figure sur le troisième cliché ! Il est décédé en 1919 au sanatorium de Leysin (Suisse) Merci pour ce post et ses explications qui me donnent un éclairage précieux sur l’histoire de mon aïeul
Bonsoir,
Merci pour votre commentaire. Votre aïeul était donc natif de Saulzoir ! Comment se nommait-il ?
Bien à vous
MB
Jean-Baptiste LEBRUN : 4ème personne debout en partant de la gauche.
recherche mon grand-père : Mandret-Moricau Jean-François, prisonnier à CROUY (02) le 28/05/18,matricule 189, 5e RI, nè à Ossun (65) le 11/02/1878 ou bien le 109e RI (?), peut etre en haute Silésie ( Giessen ?), si possible une certification du camp , peut etre une photo des prisonniers….
d’avance, merci, je suis son petit fils jean-paul
Bonjour,
Il me semble reconnaître, sur le cliché 2, mon arrière-grand oncle Jules Hache. Il est au 1er plan (assis), le 1er en partant de la gauche. Il est né à Fontaine-au-Pire, et je ne sais pas si en 1914 il habitait à Fontaine ou Beauvois.
Il était dans le 4ème cuir, et j’ai lu sur sa fiche militaire:
» a rejoint le 12/08/2014 le 4ème Régt de Cuirassiers, y est resté affecté. Renvoyé provisoirement dans ses foyers le 20/08/1914. Resté en pays envahi en 1914. Délivré par l’avance anglaise en octobre 1918″.
J’ai par ailleurs retrouvé une photo de lui, avec des soldats anglais, qui date de 1918. Je peux vous l’envoyer si vous le souhaitez.
Merci beaucoup pour votre site, il est passionnant !
Bien cordialement