Dans la famille Payot, je demande…

13 janvier 2014

IMG_2646…la collection des mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre mondiale.

Entre 1914 et 1919 puis dans les années 1920 et 1930, des centaines de livres sur la Grande Guerre ont été publiés. Quelques éditeurs, tels Berger-Levrault, Lavauzelle, Plon-Nourrit et Payot, ont même créé des collections thématiques. La « Collection des mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre mondiale » chez Payot est peut-être la plus connue aujourd’hui.

La maison d’édition française Payot a été fondée en 1912 par un vaudois, Gustave Payot, fils d’un libraire-éditeur de Lausanne. Avant la guerre, il s’installe dans le quartier de l’Odéon, boulevard Saint-Germain. La guerre contribue à développer l’entreprise. En 1918, le catalogue Payot comprend 140 titres, principalement des témoignages de combattants mais aussi des ouvrages politiques, économiques ou encore diplomatiques sur la guerre. Ces ouvrages connaissent un véritable succès, qui conforte les finances de Payot et qui est à l’origine de la célèbre collection. D’abord appelée collection de « Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre mondiale », la collection prend ensuite le nom de « Mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre mondiale », puis de « Mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la guerre » quand paraissent les derniers ouvrages de la collection à la fin des années 1930.

En interrogeant les catalogues de la BnF et du CCFr et en dépouillant les catalogues Payot de l’Entre-deux-guerres, j’ai reconstitué une liste de 305 titres publiés entre 1918 et 1939 dans cette collection. Cela représente 23 % du catalogue Payot, qui affiche 1 300 titres en 1939. D’après mon recensement, près de 60 % des ouvrages ont été publiés entre 1928 et 1935, au moment où on constate une augmentation de la production bibliographique sur la Grande Guerre en Europe et spécialement en France.

Publication annuelle de titres de la collection (1918-1939)

Comme son nom l’indique, la collection comprend des études (environ 60 % des titres), qui portent sur l’histoire de la guerre, les batailles (terrestres, maritimes et dans une moindre mesure aériennes), la diplomatie, la politique et l’espionnage. En revanche, les études sur l’économie, les finances ou encore les occupations sont peu nombreuses. Les mémoires (les souvenirs, les papiers et les journaux intimes) constituent 30 % du corpus. Enfin, 10 % des titres sont des publications de documents d’origine privée ou publique. Durant l’Entre-deux-guerres, les relations de batailles, les mémoires des hommes politiques et des généraux et les livres d’espionnage ont suscité un véritable engouement chez les Français.

Des auteurs prestigieux, parmi lesquels des princes, des hommes politiques, des militaires, des diplomates, des hauts fonctionnaires, publient (et souvent préfacent) dans cette collection. J’ai relevé sept femmes parmi les auteurs et un auteur anonyme : « J. R. », un stagiaire de l’École supérieure de Guerre, qui a publié un essai de psychologie militaire de Foch en 1921. Peut-être craignait-il pour sa carrière ? Certains sont des auteurs prolixes : le général Jean-Joseph Rouquerol (1854-1939) a publié neuf titres, principalement des relations de batailles.

Autre particularité intéressante, les auteurs français ne représentent que 35 % des auteurs publiés chez Payot. Sur 287 auteurs, j’ai dénombré 101 Français, 78 Allemands, 60 Britanniques, 25 Russes, dix Américains, quatre Austro-Hongrois, deux Italiens, deux Polonais et enfin un Belge, un Finlandais, un Norvégien, un Grec et un Roumain. Les ouvrages ne sont pas consacrés uniquement à la guerre en France, loin de là ; ils peuvent concerner :

  • des pays : Allemagne (29 titres), Autriche-Hongrie (3), Belgique (2), Espagne (1), Etats-Unis (7), Finlande (1), France (23), Grande-Bretagne (25), Grèce (1), Italie (2), Roumanie (1), Russie (40), Serbie (1), Suisse (1), Tchécoslovaquie (1), Turquie (1) ;
  • des espaces maritimes : Océan Atlantique (3), Mer Baltique (1), Mer Méditerranée (2), Mer du Nord (13), Mer Noire (1), Océan Indien (7) et Océan Pacifique (3) ;
  • des espaces terrestres : Afrique (4), Asie (2), Moyen-Orient (1) ;
  • des fronts : Ouest (64), Orient (14), Est (3).

Grâce à ses réseaux, l’éditeur réussit à publier des traductions en langue française : 129 titres sont des traductions d’ouvrages publiés en Allemagne, en Grande-Bretagne ou encore aux États-Unis. Pour ce faire, Payot a eu recours à des spécialistes (des anciens marins par exemple, des linguistes ou encore des professeurs) mais aussi à des militaires, de l’active et de la réserve, dans le cadre de leurs fonctions. Parmi les nombreux officiers venus des services de renseignement français qui ont travaillé pour Payot, on peut citer Marie Louis Koeltz (1884-1970), officier au 2e bureau de l’état-major de l’armée durant l’Entre-deux-Guerres, qui a traduit de l’allemand (et souvent préfacé) onze livres de la collection.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette collection. Ces mémoires, études et documents devaient servir à écrire une histoire de la guerre, qui dépasse les frontières nationales pour embrasser une perspective mondiale. Ces ouvrages avaient une ambition historique en mettant à disposition des lecteurs des sources variées, qu’il s’agisse de sources de première main ou d’interprétations. Aujourd’hui ces titres deviennent eux-mêmes des objets d’histoire, en ce qu’ils nous révèlent des tout débuts de l’historiographie de la Grande Guerre.

Pour en savoir plus :

Roger Chartier, Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française. Le livre concurrencé, 1900-1950, Paris, Fayard, 1991, p. 325.

Yann Prouillet, « Une bibliographie de la guerre dans les Vosges », Guide des sources de la Grande Guerre dans le département des Vosges, Conseil général des Vosges, 2008, p. 14-25

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