Pour retracer le parcours des hommes qui ont servi pendant la Grande Guerre, nous avons déjà évoqué les registres matricules du recrutement, mais les dossiers nominatifs constituent également une source précieuse.
La journée d’étude sur les dossiers nominatifs au XIXe siècle, organisée au Centre historique des Archives nationales le 24 octobre 2006, a bien montré l’importance des archives administratives du personnel. L’existence des dossiers individuels en France est largement due à la structure centralisée de l’État : produits et gérés par les ministères, ces dossiers constituent aujourd’hui d’importantes séries aux Archives nationales ainsi que dans les services d’archives des ministères de la Défense et des Affaires étrangères (Les recherches biographiques du XIXe au milieu du XXe siècle. État des sources d’archives et des instruments de recherche nominatifs).
Au Service historique de la Défense (SHD), dans les fonds de l’armée de terre (les seuls dont nous parlerons ici), la volumineuse série Y est consacrée aux archives du personnel : archives collectives et archives individuelles. Les archives collectives sont constituées de registres, principalement des contrôles de troupes et d’officiers (sous-séries Ya, Yb et Yc). Les dossiers individuels du personnel, dossiers de carrière et de pension, occupent les sous-séries Yd, Ye, Yf, Yg, Yh, Yi et Yj. [voir le chapitre XII du Guide des archives et de la bibliothèque du Service historique].
Il ne suffit pas de connaître les références de ces sous-séries, encore faut-il comprendre comment elles sont organisées, pour savoir comment rechercher efficacement le dossier d’un officier ayant combattu pendant la Première Guerre mondiale.
Un dossier individuel a été ouvert pour tous les officiers de carrière de l’armée française, mais aussi pour la plupart des réservistes (appelés du contingent) servant en qualité d’officiers. Or beaucoup de chercheurs passent à côté de cette source, par méconnaissance. Au total, cela représente plusieurs milliers de dossiers répartis dans plus d’une vingtaine de sous-séries pour les officiers qui ont combattu pendant la Première Guerre mondiale (en qualité d’hommes du rang, de sous-officiers, d’officiers ou de généraux). Le classement des dossiers est numérique ; l’accès se fait par la consultation de répertoires alphabétiques, qui ne sont pas encore tous en ligne. Le nom, le prénom, le grade, le corps, la date de radiation des cadres et le numéro de dossier figurent dans ces répertoires.
Pour s’orienter dans les différentes sous-séries, il faut se poser plusieurs questions :
- Quelle est l’armée d’appartenance : terre, air ou mer ?
- Quelle est la date de radiation des cadres (souvent à la suite d’un décès, d’une démission, d’une admission à la retraite) ?
- Quel est le dernier grade ? il y a deux classements distincts, d’un côté les officiers généraux, de l’autre les officiers subalternes et supérieurs.
- Quelle est l’arme ? il y a une distinction entre les troupes métropolitaines et les troupes coloniales.
Il faut aussi savoir que chaque sous-série a une signification chronologique, correspondant à la période au cours de laquelle le dossier a été reversé aux Archives : soit au moment du décès pour les généraux, soit au moment de la radiation des cadres pour les autres officiers. Par exemple, dans la sous-série 9Yd (1880-1932), sont conservés tous les dossiers des généraux de division décédés entre 1880 et 1932 ; dans la sous-série 6Ye (1926-1940) se trouvent tous les dossiers des officiers subalternes et supérieurs radiés des cadres entre 1926 et 1940.
Très souvent, quant on connaît le nom, le prénom et la date de naissance, on peut déterminer approximativement la date de radiation des cadres, sauf en cas de mort prématurée, en ajoutant 40 à 50 ans, ce qui permet de retrouver la sous-série dans laquelle est conservé le dossier. Cette astuce peut parfois éviter des recherches fastidieuses.
Venons-en aux sous-séries.
La sous-série Yd (officiers généraux). – Les sous-sous-séries 9 Yd (1880-1932) à 14 Yd (depuis 1965) peuvent être consultées pour rechercher des combattants de la Première Guerre mondiale. On y trouve évidemment les dossiers de tous les généraux de la Grande Guerre (le dossier du maréchal Joffre par exemple, sous la cote 9Yd408) mais aussi ceux des combattants de la Première Guerre mondiale devenus officiers généraux par la suite (par exemple, le dossier du maréchal Juin, décédé en 1967, sous la cote 14Yd10). Si vous cherchez un intendant, un contrôleur général, un « général » de l’armement ou des poudres et salpêtre, un médecin, un pharmacien, un vétérinaire, etc., vous devez vous orienter vers la sous-sous-série 15Yd, dans laquelle sont conservés les dossiers de carrière des « officiers généraux assimilés ».
Les sous-séries Ye (dossiers de carrière) et Yf (dossiers de pensions militaires) permettent de retrouver un officier supérieur (commandant, lieutenant-colonel, colonel) ou un officier subalterne (sous-lieutenant, lieutenant et capitaine).
La sous-série Ye (dossiers de carrière). – Elle se subdivise en deux catégories : troupes métropolitaines d’une part, troupes coloniales d’autre part. Les premières, les sous-sous-séries 4 Ye (1900-1926) et 7 Ye (1926-1940), contiennent les dossiers des officiers servant aux colonies dans les troupes coloniales (la « Coloniale blanche », infanterie et artillerie coloniale, et les troupes indigènes : tirailleurs sénégalais, malgaches ou indochinois). Les secondes, les sous-sous-séries 5 Ye (1848-1926) et 6 Ye (1926-1940), contiennent les dossiers des officiers de l’armée métropolitaine, y compris ceux appartenant à l’armée d’Afrique (les zouaves, la Légion étrangère, les chasseurs d’Afrique pour les troupes européennes, les tirailleurs et les spahis pour les troupes indigènes). Attention, à partir de 1941, il n’y a plus de distinction entre troupes coloniales et troupes métropolitaines dans le classement des dossiers. Les dossiers de tous les officiers rayés des cadres à partir de cette date ont été versés dans la sous-sous-série 8 Ye (1941-1969) : il ne faut pas négliger cette sous-sous-série 8 Ye, dans laquelle on peut trouver de nombreux dossiers d’officiers qui ont commencé leur carrière en 1914 et qui l’ont achevée parfois après la Seconde Guerre mondiale. Les répertoires sont en ligne sur le site internet du SHD.
La sous-série Yf (pensions militaires). – Petite subtilité, les dossiers d’officiers subalternes et supérieurs ne sont pas toujours classés en Ye. Il faut souvent se tourner vers les dossiers de pensions militaires. Dans cette sous-série Yf, les dossiers de pensions d’officiers sont mêlés à ceux des sous-officiers et des militaires du rang qui ont été pensionnés. La majorité des dossiers sont ceux de soldats de métier. Il y a rarement des appelés. Les années entre parenthèses correspondent à la période durant laquelle les individus ont été admis à faire valoir leurs droits à la pension (le plus souvent la retraite). Ainsi, si vous ne trouvez pas le dossier d’un officier en 4 ou 5 Ye, consultez les répertoires des séries de pensions : 6 Yf (1898-1911), 7 Yf (troupes coloniales, 1898-1911), 8 Yf (1911-1914), 9 Yf (troupes coloniales, 1911-1914). Par exemple, un officier a pu être admis à faire valoir ses droits à une pension en 1912, avant d’être rappelé et mobilisé ou de se porter volontaire pour la durée de la guerre : dans ce cas, son dossier a été maintenu dans la sous-série 8 Yf et non transféré dans les séries officiers. Enfin, parmi les séries de pensions, la sous-série 11 Yf (instances de pensions, 1915-1926) concerne exclusivement des officiers de la Grande Guerre. Elle contient les dossiers d’officiers qui devaient être admis à faire valoir leurs droits à une pension, mais en raison de la déclaration de la guerre, la procédure a été suspendue et les individus concernés sont restés sous les drapeaux. Pour terminer, les sous-séries 12 Yf (pensions de métropole, 1850-1950) et 13 Yf (pensions de ressortissants de l’Afrique du Nord et des colonies, 1850-1950) contiennent des dossiers d’officiers. Enfin, je signale l’intéressante sous-sous-série 7 Yg dans laquelle vous trouverez les dossiers des aumôniers militaires de 1791 à 1940, à compléter par la sous-sous-série 9 Ye, aumôniers militaires de 1941 à 1969. Les répertoires sont en ligne sur le site internet du SHD.
Rechercher le dossier d’un officier qui a combattu pendant la Grande guerre peut s’apparenter à un jeu de piste. Ce type de recherche requiert une connaissance minimale de l’histoire administrative de l’institution militaire, demande de l’intuition, de la curiosité… et parfois un peu de chance !
Mais au fait, que trouve-t-on dans ces dossiers individuels ? Vous le saurez dans un prochain épisode…
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