Jules Berquet n’a laissé aucune lettre, aucun journal de guerre, aucun objet. Le temps a effacé le souvenir de cet homme puisque tous ceux qui l’ont connu sont maintenant disparus. La photographie ci-contre, transmise par ma grand-mère, constitue la dernière trace de cette vie engloutie au cours des premières semaines de guerre. Une rapide enquête, à partir d’éléments dispersés, m’a néanmoins permis de recomposer, en pointillés, la vie de ce soldat disparu le 31 août 1914.
Né à Saulzoir (Nord) le 5 octobre 1888, il est le fils de Jules Joseph Louis et de Zélie Julienne Desfossez, Il est le cadet d’une famille modeste de huit enfants. Jules Berquet est aussi le frère de ma grand-mère paternelle, vingt ans plus jeune que lui. Avant l’armée, Jules Berquet est employé en qualité de chauffeur. Appartenant à la classe 1908, il est incorporé au 45e régiment d’infanterie dont les unités sont stationnées à Laon, Hirson et Sissonne le 8 octobre 1909. Au terme de deux années de service militaire actif obligatoire, il passe dans la disponibilité de l’armée active le 24 septembre 1911. Il rentre à Saulzoir, où il épouse Zélie Renaut, avec laquelle il a un enfant. Des années d’avant-guerre, seules les semaines comprises entre le 25 août et le 16 septembre 1913 sont connues : il accomplit une période d’exercice dans son régiment.
Un souvenir rapporté par ma grand-mère a traversé le siècle : à la mobilisation générale, quand il est rappelé à l’activité, ma grand-mère, âgée de six ans, l’accompagne à la gare du village. La guerre est brève pour le soldat de 2e classe Jules Berquet. Arrivé au 45e régiment d’infanterie le 3 août 1914, il est porté disparu avec des centaines de ses camarades en Argonne, au tournant des mois d’août et de septembre. Un avis officiel du ministère de la Guerre du 24 mars 1917 et un jugement déclaratif de décès rendu le 8 avril 1921 par le tribunal de Cambrai fixent la date du décès au 31 août 1914. Après la guerre, sa famille n’a jamais eu connaissance du lieu exact et de la date précise de sa mort. Plus de 90 ans plus tard, ma grand-mère était toujours très émue à l’évocation de son frère disparu sans laisser aucune trace.
Grâce au dossier de jugement déclaratif de décès et au dossier individuel de pupille de la Nation, j’ai découvert quelques éléments sur les circonstances de sa disparition. Jules Berquet fait partie d’un détachement de mille hommes ayant quitté le dépôt du régiment replié à Lorient le 31 août 1914. Ce renfort, destiné au 45e, atteint le front au début de l’offensive de la Marne. Toutefois, ce groupe d’hommes n’a pas pu rejoindre le corps en campagne : il a donc été réparti entre les différents régiments du 2e corps (72e, 128e, 51e, 87e, 91e, 147e, 148e et 120e régiments d’infanterie) afin de renforcer des unités déjà fortement ébranlées par les premières batailles. Dans le chaos et l’urgence, les régiments n’ont pas eu le temps d’enregistrer les noms des hommes qui les ont rejoints en renfort. Par conséquent, les militaires disparus dans les terribles combats de l’Argonne au début du mois de septembre sont restés totalement inconnus des unités avec lesquelles ils ont combattu. Ainsi, depuis son départ de Lorient le 31 août 1914, aucun témoignage n’a pu être recueilli sur la situation exacte de Berquet et de ses camarades engloutis dans la bataille.
La recherche s’arrête là ! Sans connaître le régiment dans lequel Jules Berquet a été versé le 31 août, il m’a été impossible de déterminer le secteur de l’Argonne dans lequel il a été engagé et de savoir où et quand il est tombé. Son corps n’a jamais été retrouvé. La date du 31 août 1914 est purement administrative. Il est probablement mort dans les premiers jours de septembre.
Pour conclure, voici les sources que j’ai consultées :
Aux Archives départementales du Nord, j’ai consulté la fiche matricule ainsi que le jugement déclaratif de décès dans lequel j’ai trouvé un texte revenant sur les circonstances de la disparition et le dossier individuel de pupille de la Nation utile pour l’histoire familiale. Le site internet des Archives départementales du Nord propose des fiches typologiques intéressantes sur ces sources (voir les liens ci-dessus).
Enfin, il existe un site internet très bien fait sur le 45e régiment d’infanterie, sur lequel sont mis à disposition la transcription du journal des marches et opérations, l’historique régimentaire, un livre d’or, etc. Ce genre de site offre l’avantage d’échanger avec des personnes qui effectuent des recherches sur ce régiment et qui parfois proposent des sources inédites susceptibles de faire avancer les recherches. Et sur Europeana 1914-1918, les Carnets de Charles Derrien du 45e régiment d’infanterie peuvent être téléchargés.
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