Il y a quelques mois, dans l’article intitulé Officiers en série, nous avons vu comment rechercher le dossier d’un officier de la Première Guerre mondiale dans les archives du Service historique de la Défense. Entrons aujourd’hui à l’intérieur des dossiers, pour comprendre les pièces qui les constituent.
Les dossiers individuels des officiers (de l’armée active et de la réserve) se caractérisent par leur homogénéité et leur fiabilité. Ils se distinguent des dossiers de carrière des Affaires étrangères ou de l’Instruction publique, par les pièces qui les composent. Ces dossiers ont permis à l’État de garantir les droits des officiers, de contrôler un corps qui peut éventuellement représenter une menace pour la République et de veiller au recrutement et aux carrières de ces hommes sur lesquels il doit compter. On a donc là une source rigoureuse, dont l’exploitation requiert toutefois une grande prudence.
Les dossiers de pensions et de carrière des militaires s’étoffent et se structurent progressivement au cours du XIXe siècle. Au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, le processus s’accélère à cause de l’augmentation des effectifs de l’armée et de la nécessité pour l’État de connaître individuellement chaque cadre. Les dossiers se standardisent. D’un même format, ils sont constitués de formulaires pré-imprimés et de documents originaux manuscrits ou tapuscrits. Le travail administratif s’est aussi normalisé. En effet, les renseignements sont de plus en plus précis et les dossiers sont structurés en plusieurs rubriques : le travail de notation, les états des services, les états des décorations, les pièces de liquidation de la pension, les pièces médicales, etc. On trouvera donc des informations touchant à :
- l’état-civil : les actes de naissance, de mariage et de décès, les autorisations de mariage, les enquêtes familiales, les demandes de bourses militaires, parfois une photographie.
- la carrière militaire : les états des services, les notations, les mémoires de proposition, les feuillets de mutation, les lettres de démission, les états des campagnes et des blessures, les pièces relatives à la pension.
- la santé : le dossier médical.
- les sanctions (positives et négatives) : décorations, citations, lettres de félicitations, témoignages de satisfaction, relevé des punitions, condamnations.
- des correspondances administratives et privées.
Utiles pour les recherches biographiques comme pour les études prosopographiques, ces sources s’avèrent également précieuses pour qui s’intéresse à l’histoire institutionnelle de l’armée. En effet, ces dossiers individuels, en particulier les notations, ont conservé la mémoire des services, quand les archives du service courant ont bien souvent disparu. Enfin, si certaines pièces sont évidemment très précises sur les activités militaires des intéressés, les dossiers nous renseignent parfois aussi sur leurs activités civiles, comme par exemple la formation, la profession et leurs publications, le cas échéant.
Cependant, il faut bien avoir à l’esprit que les informations contenues dans ces archives individuelles peuvent être subjectives et parfois contradictoires. Par exemple, les textes des notations sont elliptiques ; ils sont régis par des règles propres à la notation des militaires. L’historien doit alors s’en tenir aux faits, en relativisant les appréciations, et tenter d’appréhender les non-dits et les codes.
La prudence s’impose également du fait du caractère lacunaire de certains dossiers. Les dossiers d’officiers ont été expurgés à plusieurs reprises. Certains feuillets de punitions ont été détruits par exemple. Surtout, au début de la Première Guerre mondiale, les conditions ne permettent pas d’assurer comme prévu la transcription des notes, des citations et des inscriptions sur les feuillets du personnel des officiers et assimilés. Mais l’administration surmonte rapidement ces difficultés et les feuillets de campagne permettent de régulariser la situation. De plus, de nombreux documents ont été égarés à cause de la prolongation des hostilités et des mutations, si bien que des titulaires « se trouvent démunis de la seule trace officielle » de leurs activités militaires, selon la formule consacrée. Par exemple, les dossiers des officiers envoyés en mission en Russie sont les plus lacunaires. Dans certains de ces dossiers, on apprend que la plupart des feuillets individuels de campagnes des membres de la mission militaire française en Russie ont été saisis par « le gouvernement des Soviets » au cours d’une perquisition opérée dans les bureaux de la mission à Moscou le 3 août 1918. Les recherches pour reconstituer les notes antérieures n’ont pas abouti. En mai 1917, afin de remédier à ces difficultés, on décide que, pour chaque officier, une copie intégrale des notes depuis août 1914 sera envoyée aux dépôts ou aux services où a eu lieu l’immatriculation, avant transmission aux directions du ministère de la Guerre. Après la guerre, constatant des lacunes dans leurs états de services, beaucoup d’officiers ont demandé à l’administration militaire une « régularisation » de leur situation. Ces demandes se poursuivent quelques décennies après la guerre, alors que les documents (notamment les ordres de services) ont été détruits.
Par ailleurs, les archives individuelles des militaires ne disent pas tout. D’une part, les dossiers du Service historique de la Défense sont généralement muets sur la vie des individus une fois la carrière terminée. Seuls les dossiers d’officiers généraux font exception puisqu’ils ne sont clos qu’au décès des intéressés. D’autre part, les dossiers des officiers de réserve sont moins étoffés que ceux de l’armée active. Néanmoins, des recoupements sont possibles lorsque ces hommes ont suivi une carrière dans la fonction publique ou dans de grandes entreprises pour lesquelles des archives ont été conservées.
Pour conclure, les dossiers individuels des officiers sont une source incontournable quand on s’intéresse à l’un ou l’autre de ces milliers d’hommes qui ont servi comme officiers, pendant une courte ou une longue période de leur vie. C’est une source biographique de premier ordre, qui ne se limite pas au fait militaire.
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