Document : circulaire du ministre de la Guerre au sujet de la réforme des méthodes de travail (13 décembre 1917).
Source : versement d’archives de l’Imprimerie nationale, PH 278/2004, article 103 (instructions confidentielles et autres du ministère des Finances, 1917-1938), Centre des archives économiques et financières (Savigny-le-Temple).
Datée du 13 décembre 1917, cette circulaire a pour objet la « réforme des méthodes de travail » de l’administration du département de la Guerre. En diplomatique, la circulaire se définit comme un avis ou une instruction adressée simultanément par les agents supérieurs à leurs divers subordonnés. Ici, le président du Conseil et ministre de la Guerre Georges Clemenceau, qui est au pouvoir depuis un mois seulement, s’adresse à l’ensemble de ses services. Depuis le début de l’année 1917, le ministère de la Guerre a connu plusieurs tentatives de réforme d’organisation et de fonctionnement. Cependant, la situation que trouve Clemenceau à son arrivée au pouvoir ne semble pas lui donner satisfaction. Le général Henri Mordacq (1868-1943), chef du cabinet militaire de Clemenceau, le note d’ailleurs dans son journal, à la suite d’une conversation avec le ministre :
« Nous parlâmes ensuite du ministère de la Guerre. Nécessité d’y rétablir l’autorité du ministre qui n’existait plus, disloquée qu’elle était entre les directeurs et les états-majors », ajoutant plus loin « tout le monde y commandait sauf le ministre ; les bureaux plus que jamais y étaient les maîtres. Il fallait commencer par tout réformer ». Henri Mordacq, Le ministère Clemenceau, journal d’un témoin, t. I, novembre 1917-avril 1918, Paris, Plon et Nourrit, 1930, p. 8 et 19.
Clemenceau est déterminé à mettre en oeuvre tous les moyens qui lui semblent nécessaires à l’obtention de la victoire : « je fais la guerre », dit-il à la Chambre des députés le 8 mars 1918. Le vaste chantier de modernisation de l’administration qu’il lance dès son arrivée vise à faire gagner du temps dans le travail administratif, à moindre coût : « Il faut traiter les affaires en hommes d’affaires : donc aller vite ». Ce qui surprend à la lecture de ce document interne, c’est le niveau de précision dans lequel entre le ministre. En effet, les instructions qu’il donne doivent permettre de :
- simplifier les circuits administratifs ;
- diminuer la production de documents sans valeur ajoutée ;
- alléger les procédures et lutter contre les « excès de centralisation » : le chef doit savoir déléguer ;
- favoriser les échanges verbaux entre les agents et le recours aux nouveaux moyens de communication (le téléphone par exemple) ;
- privilégier l’échange verbal et la réunion préalablement à toute prise de décision : « il ne s’agit pas de supprimer les pièces écrites qui sont souvent nécessaires, parce qu’elles portent une signature et qu’elles restent, mais il faut n’y recourir qu’au moment voulu, c’est-à-dire lorsque l’affaire est déjà décidée et tout au moins dégrossis par la conversation » ;
- régler les affaires courantes en trois jours (délais de transmission compris).
Clemenceau conclut la circulaire en annonçant contrôles et sanctions « des plus sévères », en cas de non-respect de ces prescriptions.
Dans une deuxième circulaire en date du 9 janvier 1918, c’est-à-dire très vite après la première, Clemenceau dresse un premier bilan, à partir des comptes rendus de mise en oeuvre qu’il a déjà reçus et qui tendent à montrer que des progrès ont été réalisés. Certes, on peut s’interroger sur la réalité de tels progrès en un délai si court. Cependant les contrôles qui ont été effectués ont révélé des résultats probants et ont permis d’infliger des sanctions. En ce qui concerne les affaires courantes, « l’arriéré révélé dans certains services a été liquidé » et « de nombreux cas concrets d’affaires importantes réglées avec décision et avant toute formalité m’ont été signalés ». Mais il reste des efforts à fournir dans l’usage du téléphone, la délégation des responsabilités, la suppression des intermédiaires inutiles ainsi que dans certains détails (enregistrement, distribution du courrier…). Clemenceau va plus loin et demande à « mutualiser » le travail des secrétariats : le personnel secrétaire et dactylographe, « souvent trop disséminé et laissé sans direction », doit être regroupé et organisé en ateliers, « sous la surveillance de véritables contremaîtres qualifiés ». Il impose les méthodes modernes qui ont fait leur entrée dans les bureaux en France dès avant la guerre, avant le taylorisme des années vingt.
Derrière le souci d’efficacité qui anime le ministre, on devine également la volonté de Clemenceau de montrer à ses subordonnés, civils comme militaires, qu’il détient l’autorité et qu’il entend tout contrôler : il leur demande avec force de se pencher sur les menus détails du fonctionnement de l’administration et même la clémence dont il fait preuve à la fin de cette deuxième circulaire assoit son autorité.
« Cette surveillance de tous les instants devra être renforcée par le renouvellement des inspections inopinées. Celles-ci seront d’autant plus fructueuses qu’elles prendront une forme plus pratique et qu’elles s’étendront jusqu’aux rouages les plus modestes en apparence de la machine administrative. Aucun détail ne doit échapper à l’oeil du maître. Je n’ignore pas que la tâche est souvent lourde et qu’il n’y peut être fait honneur que par un travail intensif. La méthode et la vigilance que vous y consacrez méritent tous mes remerciements. En raison des efforts réalisés, j’ai décidé de ne pas augmenter les sanctions justement infligées pour certaines négligences individuelles. Les résultats déjà obtenus me sont garants que ces efforts seront continués et que vous ne vous relâcherez pas de votre activité et de votre clairvoyance ».
On connaissait Clemenceau homme d’Etat, on le voit ici manager…
Pour en savoir plus (liste non exhaustive) :
Sylvie Brodziak et Caroline Fontaine (dir.), Georges Clemenceau et la Grande Guerre, 1906-1929. Actes du colloque tenu à Paris les 20-21 novembre 2009, La Crèche, Geste Editions, 2010.
Delphine Gardey et l’histoire des secrétaires dans La Marche de l’Histoire.
Delphine Gardey, Ecrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.
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