Alphonse Grasset, témoin et historien militaire, des champs de bataille aux archives

7 décembre 2015
Alphonse Grasset

Alphonse Grasset (SHD, dossier de carrière, 6Ye49190)

Né à Labassière dans les Hautes-Pyrénées, Alphonse Grasset (1873-1952) est l’un des officiers historiens de la Section historique de l’état-major de l’armée en 1914. Ce spécialiste des armées napoléoniennes part en campagne en août 1914. La guerre modifie profondément ses recherches. Gravement blessé, il rejoint le ministère de la Guerre, où il classe les premières archives de la campagne en cours et écrit les premières études. Après la guerre, Grasset devient l’un des écrivains militaires les plus prolixes. Son parcours est éclairant sur la construction des sources militaires de la Grande Guerre.

Saint-cyrien (1894-1896) et officier d’infanterie (fiche matricule, Archives départementales des Hautes-Pyrénées), Grasset est affecté à la Section historique de l’état-major de l’armée le 24 décembre 1909. A l’époque, l’enseignement et l’étude de l’histoire militaire fondée sur des cas concrets occupent une place centrale dans la formation des cadres. L’armée cherche absolument à tirer des enseignements du passé et Grasset entreprend plusieurs études dans ce sens. En 1906, il publie chez Lavauzelle La doctrine allemande et les leçons de Moukden, ouvrage couronné par l’Académie française. Grasset s’oriente vers l’étude des campagnes napoléoniennes, dont le haut commandement est friand, et se spécialise dans l’étude de la guerre d’Espagne. En 1907, il a déjà publié Malaga, province française (1810-1812) chez Lavauzelle. A la section historique, il poursuit ses études sur la péninsule ibérique et se lance dans la rédaction d’une histoire de la Guerre d’Espagne de 1807 à 1813. Dans ce but, il effectue une mission à Madrid et à Baylen en octobre 1911 afin de reconnaître les champs de bataille. A l’époque, les officiers de la section historique sont d’excellents historiens militaires, à l’instar du capitaine Vidal de La Blache, fils du grand géographe, ou du capitaine Maurice Sautai, dont les études sur l’armée de Louis XIV et la guerre de Succession d’Espagne font toujours autorité (IdRef). Ces officiers ont pour mission :

  • d’exploiter les archives du ministère de la Guerre en publiant des études historiques au profit du commandement (en particulier dans la Revue d’histoire de la Section historique) ;
  • de classer les archives, en particulier celles de l’actuelle série L (guerre de 1870 et Commune de Paris).

La conservation et le classement des archives et des ouvrages reviennent aux archivistes et bibliothécaires, tous civils du ministère de la Guerre.

Un officier historien en guerre

Grasset est mobilisé au 103e régiment d’infanterie. Avant de partir en campagne, les officiers de la section doivent déposer leurs travaux personnels, manuscrits, fiches, notes dans des cartons déposés aux archives. Ces dispositions ont été prises pour faciliter la reprise du travail après la guerre. Aujourd’hui, une partie de ces archives est rassemblée dans la sous-série 2 M au Service historique de la Défense (fonds du Dépôt de la Guerre).

Grasset est blessé une première fois lors des combats d’Ethe du 22 août 1914. Il restera profondément marqué par cette épreuve. A nouveau blessé et commotionné à Perthes le 26 février 1915, il est classé inapte au front et sert en administration centrale, où il reprend ses travaux sur la guerre d’Espagne. Cependant il commence à s’intéresser à la guerre en cours, les historiens militaires y voyant un laboratoire pour les études tactiques et historiques. Avec d’autres officiers historiens, Grasset classe les archives courantes de la guerre au ministère, en particulier celles du camp retranché de Paris. Il s’agit déjà de faciliter l’exploitation ultérieure de ces documents après la guerre. Grasset est également chargé de répondre aux nombreuses questions posées par différentes autorités sur la direction de la guerre et les opérations.

L’écrivain militaire : des relations de batailles aux Armées françaises dans la Grande Guerre.

En 1919, Grasset est affecté au nouveau Service historique de l’armée. Chef de la section ancienne, il contribue à l’achèvement de l’histoire de la guerre de 1870-1871. De plus, il termine sa volumineuse Histoire de la guerre d’Espagne (1807-1813), publiée aux éditions Berger-Levrault de 1925 à 1932. Très vite, il s’oriente vers les études sur la Grande Guerre, en mettant à profit son expérience de la guerre, sa connaissance des sources et des méthodes historiques. En 1919, il publie ses souvenirs de guerre 20 jours de guerre aux temps héroïques. Carnet de route d’un commandant de compagnie chez Berger-Levrault. Si Norton Cru voit en Grasset un témoin, il regrette son récit trop documenté et reconstruit a posteriori : l’historien militaire a pris le pas sur le témoin.

Et pour cause, Grasset est l’auteur de plusieurs relations de batailles qui sont encore aujourd’hui de remarquables synthèses tactiques et historiques sur les combats de Neufchâteau ou d’Ethe. Elles sont accompagnées d’excellentes cartes qui permettent de suivre les évolutions de la bataille. Grasset s’est appuyé sur une vaste documentation comprenant son expérience combattante, des archives des unités, des correspondances, des souvenirs et des témoignages écrits et oraux d’anciens combattants.

Grasset est aussi l’auteur de textes de propagande promouvant une histoire officielle française de la guerre et de quelques biographies, plutôt hagiographiques, d’officiers généraux (Foch, Franchet d’Esperey). Il collabore également avec la Revue des deux mondes, la Revue de Paris, la Revue politique et parlementaire, des revues militaires françaises, suisses, anglaises (Fighting forces, Journal of artillery, etc.) et polonaises. Dans l’Entre-deux-Guerres, Grasset est un écrivain militaire très populaire en France et en Europe. Il est invité à prononcer des conférences en France (dans les écoles militaires notamment) et à l’étranger sur la Première Guerre mondiale. Enfin, il effectue de nombreux voyages d’études tactiques et historiques sur les champs de bataille franco-belges avec des délégations d’officiers, comme il le faisait par le passé sur les champs de bataille napoléoniens. Ainsi il participe à l’instruction tactique des officiers par la méthode des cas concrets, encore très appréciée du haut commandement (notice data.bnf.fr pour retrouver les publications de Grasset).

Il participe également à la rédaction des Armées françaises dans la Grande Guerre. Le haut commandement souhaite alors publier le plus vite possible une histoire officielle de la guerre de 1914. Le but est d’assurer à la France le rang qu’elle mérite en raison des efforts et des sacrifices qu’elle a consentis pendant la guerre. Grasset est notamment chargé de la rédaction de certaines parties consacrées à la bataille des frontières.

Le colonel Grasset est mis à la retraite en 1929 puis rayé des cadres en 1937. Engagé  volontaire en 1939, il est détaché à la présidence du Conseil au commissariat général des informations d’octobre 1939 à juin 1940. Il meurt à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) le 20 novembre 1952. 

Un commentaire

  • Joie 12 février 2017 à21:50

    Bonsoir,

    J’habite Neufchâteau (Belgique), m’intéresse de plus en plus à la bataille qui s’y est déroulée le 22/08/1914, dont A. Grasset a si précisément rendu compte.
    Je suis donc heureux d’en apprendre plus par votre blog sur ce remarquable mémorialiste.
    Mais savez-vous où sont conservés tous les documents sur lesquels il s’est appuyé pour établir son récit, qu’il cite régulièrement en bas des pages de son ouvrage ?
    Merci.
    Et félicitations.

    Thierry Joie

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