Publié aux éditions A l’ombre des mots, le dernier livre de l’historien Yann Lagadec consacré aux monuments aux morts des Côtes d’Armor de 1914 à aujourd’hui est original à plus d’un titre. Certes, on y trouve les développements attendus sur les financements, l’édification ou encore la forme des monuments. Mais en exploitant des sources plurielles, il va plus loin et offre une vision très large de l’hommage aux combattants. Il étudie les divers monuments, communaux, paroissiaux ou professionnels, et leur usage mémoriel de 1914 à aujourd’hui. Pour en savoir plus, je lui ai posé quelques questions. 1/ Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? Trois éléments m’y ont poussé en fait. C’est tout d’abord un sujet sur lequel je m’étais déjà penché, au milieu des années 1990, lorsque j’enseignais au collège de Plémet : j’avais alors proposé à mes élèves de 3e de travailler sur les monuments de leur commune et j’avais ainsi pu mesurer tout l’intérêt de ces monuments, toute leur diversité. Cela avait été aussi l’occasion d’un premier contact avec une historiographie devenue classique depuis, notamment les travaux d’Antoine Prost, et d’une première mais très modeste publication. Le second élément est lié à l’encadrement d’étudiants de Licence professionnelle Tourisme…
La commémoration du centenaire de l’entrée des États-Unis dans la guerre s’est traduite par la publication de plusieurs ouvrages en France. Le dernier livre de Bruno Cabanes, Les Américains dans la Grande Guerre, a retenu mon attention. Cette synthèse portant sur un sujet encore méconnu en France est accompagnée d’une riche iconographie, bien mise en valeur dans ce bel album publié chez Gallimard. L’historien Bruno Cabanes occupe la chaire Donald G. et Mary A. Dunn d’histoire de la guerre moderne à l’Ohio State University (Etats-Unis). Il a bien voulu répondre à nos questions. 1/ Pourquoi écrivez-vous de la Première Guerre mondiale qu’elle est « la guerre oubliée de l’Amérique » ? L’histoire de la Grande Guerre est méconnue de la plupart des Américains, qui l’étudient peu au cours de leur scolarité et pour lesquels elle représente un conflit lointain. Cela peut paraître d’autant plus étonnant que 1917 marque une coupure importante dans l’histoire militaire et internationale du pays, les Etats-Unis accédant véritablement à un rang de première puissance mondiale, et l’armée américaine devenant, en l’espace de quelques mois, une armée moderne, mieux entraînée et mieux équipée. On dit parfois qu’il y a trois conflits omniprésents dans la mémoire collective des…
En novembre 2016, la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale publiait un état des lieux et proposait des perspectives au sujet de la numérisation du patrimoine écrit de la Grande Guerre. Pour en savoir plus sur ce rapport, nous avons interrogé l’auteur de ce rapport, Laurent Veyssière, conservateur général du patrimoine et directeur général adjoint de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale. Pourquoi la France est-elle un pays leader en matière de numérisation du patrimoine écrit ? La France, État et collectivités territoriales, s’est engagée résolument dans une politique de numérisation du patrimoine culturel dès les années 1990. En particulier, depuis une quinzaine d’années, la numérisation du patrimoine écrit a pris un essor considérable dans les bibliothèques et les services d’archives. Elle permet à la fois de protéger les collections et les fonds d’archives tout en assurant leur valorisation par une consultation aisée et à distance. Les politiques de numérisation du patrimoine écrit ont beaucoup évolué au fil de ces dernières années, répondant à des enjeux différents entre bibliothèques et services d’archives, mais aussi à des ambitions diverses. La mise en ligne des documents numérisés contribue incontestablement avec succès à la démocratisation culturelle et au développement…
La Révolution russe est souvent présentée comme l’un des principaux jalons de l’histoire du XXe siècle. Au lendemain du coup d’état bolchevique en octobre 1917, la Russie se désintègre dans une guerre civile, qui dure de l’automne 1917 à l’été 1922. Cette guerre civile, qui ne saurait se réduire à l’affrontement des rouges et des blancs, provoque la destruction et la ruine de l’ancien empire des tsars. Les combats, les exactions, les pillages, les famines, les régimes de terreur, le froid, les maladies font plus de 10 millions de victimes. Jusqu’à présent, aucune synthèse n’avait été publiée en France sur cet épisode tragique de l’histoire russe. Historien et haut fonctionnaire, Alexandre Jevakhoff (Les Russes Blancs chez Tallandier et Le roman des Russes à Paris aux éditions du Rocher) publie cette première étude française à partir des archives russes notamment. Nous lui avons posé quelques questions afin de mieux connaître les matériaux qui ont nourri ce travail historique. Aujourd’hui, la guerre civile russe est méconnue en France. Qu’en est-il en Russie ? La guerre civile a toujours suscité un intérêt considérable en Russie, représentant en quelque sorte le geste fondateur de l’URSS, au moins jusqu’en 1945, quand le stalinisme et l’effet des années…
Je n’avais jamais lu de carnets de guerre d’un combattant ottoman pendant la Première Guerre mondiale, faute de traduction française. Les éditions Petra viennent de combler ce vide en publiant Souvenirs d’un officier ottoman (1914-1918) de Faik Tonguç. Longtemps oublié, ce récit, transcrit en alphabet turc moderne après la guerre par Tonguç, est publié une première fois en 1960. C’est un texte étonnant, qui propulse le lecteur dans l’armée ottomane du front méconnu du Caucase à la Russie du Nord, où Tonguç est prisonnier de guerre. L’auteur relate son épopée de son évasion jusqu’à son retour en Turquie. Préfacés par Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut, ces souvenirs ont été traduits par Bruno Elie, diplômé des Langues O’ en russe et en turc et passionné par l’histoire de la Première Guerre mondiale. Nous lui avons posé quelques questions au sujet de ce livre passionnant et de son travail de traduction. Qui est Faik Tonguç ? Faik Tonguç (1889-1968) nait à Çorum, sur le plateau anatolien, dans une famille qui a subi des revers de fortune. Il fait de bonnes études à Ankara puis entre à l’équivalent ottoman de l’Ecole Nationale d’Administration. A la fin de ses études, il passe deux ans en…
On doit aux commémorations du Centenaire de la Première Guerre mondiale une augmentation du nombre de publications consacrées à la Grande Guerre. Cependant, les publications traitant des conséquences matérielles de la guerre sur le paysage et le bâti sont rares, alors même que les destructions engendrées par le conflit ont été considérables. Chercheure-partenaire au SIRICE (Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe), UMR 8138, Emmanuelle Danchin a publié Le temps des ruines (1914-1921) aux Presses universitaires de Rennes en 2015. Nous lui avons posé quelques questions pour mieux connaître les matériaux qui ont nourri son beau travail historique. Ses réponses très fournies nous renseignent également sur le travail de documentation, d’évaluation, de sélection, d’analyse et de contextualisation des sources. Quelle distinction faites-vous entre « ruine » et « ruine de guerre » ? La « ruine » n’est pas une « ruine de guerre » et il faut opérer une distinction entre l’une et l’autre car les temporalités ne sont pas les mêmes et les représentations iconographiques qui en découlent non plus. La « ruine », en effet, procède de l’usure du temps, elle est le fruit de la lente désagrégation des matériaux. Elle témoigne d’un passé et fait référence à une temporalité, celle du temps long. Il s’agit d’une ruine ornementale, envahie…
L’ECPAD détient une collection de 572 photographies autochromes représentant des scènes prises pendant la Première Guerre mondiale. Elles constituent un témoignage particulier sur le conflit, tant en raison des caractéristiques du procédé lui-même que de la personnalité des auteurs de ces clichés, parmi lesquels le commandant Jean-Baptiste Tournassoud. C’est d’ailleurs en partie grâce à la famille de ce dernier que la collection a pu être préservée entre 1919 et 1973, date à laquelle elle est revenue dans le giron de l’État. Cette collection entretient en outre des relations étroites avec d’autres institutions patrimoniales, dont les ancêtres ont en partie présidé à sa constitution : le musée Albert-Kahn (MAK) et la médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP). La « diapositive » en couleur avant l’invention de l’autochrome Au XIXe siècle, les recherches sur la reproduction des couleurs s’effectuent dans deux directions : fixation directe par voie chimique ou physique (chromophotographie) ou reconstitution par synthèse additive des trois couleurs primaires[1]. C’est cette dernière qui va donner lieu aux développements les plus prometteurs. Les précurseurs sont Maxwell et Sutton qui, en 1861, réalisent la première vue en couleur en prenant sous le même angle trois clichés sur plaque de verre d’un morceau de tissu écossais, avec trois filtres…
Journaliste à France 24, Stéphanie Trouillard anime la page centenaire 14-18 sur le site internet de la chaîne de télévision internationale française. Son intérêt pour l’histoire et les commémorations du Centenaire, en particulier dans sa dimension internationale, l’ont amenée à travailler sur la Première Guerre mondiale. En parallèle, elle mène des recherches familiales. Nous lui avons posé quelques questions pour comprendre le travail d’une journaliste dans le cadre des commémorations. Comment abordez-vous l’histoire en tant que journaliste ? Nous avons l’obligation d’être crédibles. Nous sommes des journalistes et non des historiens. Notre premier travail est de vulgariser, de rendre ces événements compréhensibles par le plus grand nombre tout en évitant de commettre des erreurs historiques. Par conséquent, nous effectuons un important travail de recherche dans les ouvrages et dans les archives sur des sujets peu connus. Pour chaque article, nous contactons des historiens et nous nous appuyons sur leurs travaux. Enfin, notre objectif est d’être une sorte de porte d’entrée pour le lecteur vers d’autres ouvrages historiques. Nous avons eu plusieurs retours de professeurs d’histoire et de géographie de lycées et de collèges qui nous ont dit avoir trouvé des idées pour travailler avec leurs élèves. Quels sont les sujets traités ? Je…
Pendant la Première Guerre mondiale, 1008 individus (militaires et civils, français et étrangers) ont été condamnés à la peine capitale par la justice militaire, au front ou à l’arrière, pour désobéissance militaire, affaires d’espionnage ou de droit commun. Les archives des conseils de guerre conservées au Service historique de la Défense à Vincennes ont été numérisées et récemment mises en ligne sur le site internet Mémoire des hommes, en réponse à la demande formulée par le Président de la République lors du lancement des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale en novembre 2013. Dans cet ensemble sériel, ce sont des situations très diverses et souvent émouvantes que le curieux et le chercheur peuvent désormais facilement découvrir page après page. Pour en savoir plus sur cette opération, nous avons interrogé Agnès Chablat-Beylot, conservateur en chef du patrimoine, responsable du département des archives définitives du Centre historique des archives du SHD. D’où viennent ces dossiers de fusillés ? Les « dossiers de fusillés », mis en ligne à partir du 6 novembre 2014 sur le site Mémoire des hommes sont les minutes de jugement et les dossiers de procédure des conseils de guerre qui les ont condamnés à mort. Ces archives sont…
Drapeau du 201e régiment d’infanterie, modèle 1880 (02527;Ba 701), Paris, Musée de l’Armée (photo musée de l’Armée). Curieux de savoir ce que sont devenus les drapeaux et les étendards des régiments français de la Grande Guerre, nous nous sommes adressés au Département contemporain du Musée de l’Armée, qui a bien voulu répondre à nos questions à ce sujet. ** Quelles sont les différentes parties d’un drapeau et d’un étendard ? En 1914, les drapeaux régimentaires de l’armée française sont confectionnés selon le modèle réglementaire établi en 1880. Celui-ci fait suite à la décision du ministère de la Guerre en date de juin 1878 de remplacer la totalité des emblèmes. Le 14 juillet 1880, le président de la République Jules Grévy remet les nouveaux drapeaux lors d’une cérémonie à l’hippodrome de Longchamp, une scène immortalisée par le peintre Edouard Detaille. Ainsi, les troupes à pied reçoivent des drapeaux ; les troupes montées (la cavalerie, l’artillerie et le train des équipages) reçoivent des étendards, c’est-à-dire des emblèmes aux dimensions réduites, limitant la prise au vent et donc adaptés aux contraintes spécifiques du déplacement de ces troupes. Le modèle 1880, également dénommé « modèle IIIe République », se compose d’un tablier de soie bleu-blanc-rouge en…