La défaite de 1871 provoque une prise de conscience, chez le pouvoir politique et l’autorité militaire, de la nécessité de réformer l’armée. Tout comme le recrutement (voir le billet précédent) ou l’organisation de l’armée, la formation des militaires devient une priorité. De plus, au tournant des XIXe et XXe siècles, l’institution militaire ne peut pas rester à l’écart du mouvement de scolarisation qui touche la société française. Progressivement, les officiers se passionnent pour les études et le travail intellectuel, une sorte d’âge d’or pour de nombreux militaires aujourd’hui. Officiers et surtout sous-officiers deviennent les chevilles ouvrières de l’instruction dans les armées. Ainsi à la veille de la Première Guerre mondiale, les cadres sont non seulement instruits et formés pour commander au feu mais aussi pour préparer des millions de Français à combattre. I / Avant les obligations militaires La formation militaire des Français commence bien avant les obligations militaires. Dès leur plus jeune âge à l’école primaire, les jeunes Français sont préparés mentalement et physiquement à l’idée de servir militairement le pays. Par exemple, à partir des années 1880, des cours de gymnastique et d’exercices militaires pour les garçons sont inscrits au programme des écoles primaires. De nombreux fils de…
Au lendemain de la guerre franco-allemande de 1870-1871, de considérables efforts financiers et matériels permettent de réorganiser l’armée. Constatant que les effectifs instruits militairement pour défendre le pays ont été insuffisants, le haut commandement décide de réformer l’encadrement, l’équipement des unités et surtout le recrutement. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, comme les engagements volontaires sont trop peu nombreux pour entretenir une armée d’active et des réserves, la France opte pour la conscription, malgré l’hostilité de la majorité des Français. A la veille de la Première Guerre mondiale, « le recrutement embrasse l’ensemble des mesures ayant pour but la constitution et l’entretien de l’effectif de l’armée et de ses diverses réserves » (Dictionnaire militaire. Encyclopédie des sciences militaires, Berger-Levrault, Paris, 1910, p. 2397). L’adoption des premières lois de recrutement a donné lieu à de vifs débats à la Chambre des députés. Une partie de la droite est resté longtemps hostile à un service militaire universel et obligatoire. Elle préfère une armée de métier, croyant qu’elle est seule capable de maintenir l’ordre en France et estimant que les soldats de métier sont bien meilleurs dans l’offensive que les conscrits. A gauche, beaucoup réclament une réduction de la durée des services actifs et…
En ce 11 novembre, nous proposons de nous intéresser aux disparus : comment s’est organisée la recherche des disparus pendant le conflit ? comment aujourd’hui mener des recherches sur les disparus ? Cet article est le résultat d’un échange avec Jean-Michel Gilot, l’animateur du projet collaboratif « 1 Jour – 1 Poilu ». Il m’a fait découvrir une source méconnue, à savoir La Recherche des disparus, journal de l’association française pour la recherche des disparus, paru entre 1915 et 1917. Il a imaginé un nouveau défi collaboratif consistant à proposer aux internautes d’indexer et d’identifier les disparus figurant dans les colonnes de ce journal. De mon côté, je me suis attaché à en savoir plus sur cette source et sur son contexte de parution. ** Plusieurs milliers d’Européens, militaires et civils, ont disparu pendant la Première Guerre mondiale. Les combats, les évacuations et les déportations sont les principales causes de ces disparitions. Près de 700 000 soldats sont encore ensevelis sous les anciens champs de bataille, parmi lesquels 250 000 Français (sur ce sujet, on peut voir le webdocumentaire « 700 000 », réalisé par Olivier Lassu à partir de fouilles archéologiques). Régulièrement, des corps sont exhumés à l’occasion de travaux effectués sur l’ancienne ligne de…
Depuis plusieurs mois, la presse se fait l’écho de l’élargissement du recrutement par les services du renseignement en France. Constatant qu’on se tourne vers « les plus prestigieuses écoles du pays » (France Inter, 6 octobre 2016), des journalistes parlent d’un phénomène nouveau. Pourtant le recrutement de diplômés au profit des services de renseignements, en particulier militaires, n’a rien de neuf. Je me suis beaucoup intéressé à ce qui s’est passé pendant la Première Guerre mondiale sur ce sujet (1) : j’en livre ici une petite synthèse, qui permet de mettre en perspective ce phénomène. Avant la Première Guerre mondiale, l’armée emploie déjà des universitaires et des hauts diplômés au profit de ses services de renseignement. La guerre ne fait qu’accroître ce type de recrutement. Entre 1914 et 1918, plusieurs milliers d’agrégés, de polytechniciens, de normaliens, d’ingénieurs, de centraliens servent, en qualité d’officiers de réserve, dans tous les services de renseignements dépendant du département de la Guerre. C’est au 5e bureau que ce type de recrutement est le plus perceptible. Pour comprendre comment s’opère les recrutements, les dossiers de carrière militaires et civils sont d’excellentes sources. Le 5e bureau : un bureau taillé pour les diplômés En préambule, une courte présentation du…
Les 12, 13 et 14 septembre se tiendra un colloque international consacré à l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne dans la Grande Guerre : patrimoine, commémoration, transmission. Fruit d’un partenariat entre les Archives nationales, l’université Paris I, l’UMR Sorbonne-SIRICE, l’Institut des mondes africains, l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, le Musée de la Grande Guerre à Meaux et l’Ossuaire de Douaumont, cette manifestation s’inscrit dans la continuité des sessions tenues à Rabat en novembre 2014 (Le Maghreb et l’Afrique subsaharienne dans la Grande guerre 1914-1918) et Tunis en mai 2015 (La mobilisation au Maghreb et en Afrique subsaharienne dans la Grande Guerre). La construction de la mémoire de la mobilisation des troupes d’Afrique et de l’implication du Maghreb actuel et de l’Afrique subsaharienne dans la guerre 1914-1918 est ici étudiée à travers le champ patrimonial (archives, musées, lieux de mémoire), de l’après-guerre à nos jours. Le 12 septembre, les Archives nationales accueillent la journée inaugurale sur le thème de « Faire mémoire ». Le lendemain, au musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, les débats porteront sur la transmission. Enfin, le dernier jour sera consacré à la question de la commémoration à l’ossuaire de Douaumont. Ce colloque s’annonce prometteur…
Ces derniers temps, on entend beaucoup parler d’une nécessaire collaboration entre pays et entre services dans le domaine du renseignement. Cela m’a rappelé un aspect abordé dans ma thèse soutenue en 2009, qu’il m’a paru intéressant de partager ici. Dans l’histoire du renseignement, l’année 1915 marque un tournant., avec la mise en place d’une centralisation des renseignements au niveau national mais également international. La création du bureau interallié de renseignements procède d’une volonté de coordination de l’action alliée nonobstant les divergences de vues et des objectifs différents. Ce bureau, qui vit au rythme des relations interalliées et particulièrement franco-britanniques, met à disposition des alliés une « bourse de renseignements ». 1915, une année interalliée Dès 1915, des militaires et des fonctionnaires civils français et britanniques militent pour une centralisation des activités de renseignements françaises et interalliées au ministère de la Guerre : Jean Tannery, chef de la section de contrôle télégraphique au ministère de la Guerre, le capitaine Ladoux chef du contre-espionnage au 2e bureau de l’état-major de l’armée ou encore le brigadier général Georges Kynaston Cockerill, director of special intelligence of War Office. Cependant, les autorités politiques et militaires alliées se méfient de ces initiatives, jusqu’à ce que la situation militaire…
3500 lettres et une centaine de photographies, échangées entre 1914 et 1918 par les huit membres d’une même famille et leurs amis, constituent le point de départ du travail mené par Pierrick Hervé, professeur au lycée Guist’Hau de Nantes et Marie-Christine Bonneau-Darmagnac, professeure au collège Jules Verne de Buxerolles. Cette dernière nous le présente. ** Le fonds d’archives de la famille Résal C’est grâce à un trésor de famille que Plateforme 14/18 existe. Jacques Résal, l’un des descendants, est dépositaire du fonds constitué de 3500 lettres et environ une centaine de photographies et nous a permis de l’utiliser pour le mettre à la disposition de la communauté éducative. C’est un vaste projet transmedia qui est né de cet ensemble documentaire avec tout d’abord la réalisation d’un film La cicatrice. Une famille dans la Grande Guerre par Laurent Véray, pour France 3, en 2013. Puis, l’édition de trois ouvrages co-signés Jacques Résal et Pierre Allorant : Lignes du front de l’Arrière. Correspondance du directeur du tramway de Bordeaux avec son fils artilleur, PU Bordeaux, 2015. La Grande Guerre à tire d’ailes. Correspondance de deux frères dans l’aviation. 1915-1918, Encrage, 2015. Femmes sur le pied de guerre. Chronique d’une famille bourgeoise. 1914-1918, Septentrion,…
On doit aux commémorations du Centenaire de la Première Guerre mondiale une augmentation du nombre de publications consacrées à la Grande Guerre. Cependant, les publications traitant des conséquences matérielles de la guerre sur le paysage et le bâti sont rares, alors même que les destructions engendrées par le conflit ont été considérables. Chercheure-partenaire au SIRICE (Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe), UMR 8138, Emmanuelle Danchin a publié Le temps des ruines (1914-1921) aux Presses universitaires de Rennes en 2015. Nous lui avons posé quelques questions pour mieux connaître les matériaux qui ont nourri son beau travail historique. Ses réponses très fournies nous renseignent également sur le travail de documentation, d’évaluation, de sélection, d’analyse et de contextualisation des sources. Quelle distinction faites-vous entre « ruine » et « ruine de guerre » ? La « ruine » n’est pas une « ruine de guerre » et il faut opérer une distinction entre l’une et l’autre car les temporalités ne sont pas les mêmes et les représentations iconographiques qui en découlent non plus. La « ruine », en effet, procède de l’usure du temps, elle est le fruit de la lente désagrégation des matériaux. Elle témoigne d’un passé et fait référence à une temporalité, celle du temps long. Il s’agit d’une ruine ornementale, envahie…
Publication de l’Association vosgienne des anciens combattants de l’armée d’Orient (mars 1929) [Gallica] La semaine dernière, Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des Anciens Combattants et de la mémoire auprès du ministère de la Défense, s’est rendu en Grèce, en Macédoine, en Serbie et en Roumanie, pour commémorer le centenaire du début des opérations militaires sur le front d’Orient. On peut suivre ce voyage mémoriel et commémoratif sur le carnet de voyage de Stéphanie Trouillard, journaliste à France24. A cette occasion, nous nous sommes intéressés aux sources permettant de partir sur les traces des poilus d’Orient. Environ 80 000 hommes ont débarqué aux Dardanelles en 1915 et 400 000 autres ont combattu dans les Balkans de 1915 à 1920. A première vue, la recherche d’informations paraît compliquée. Peu d’études et de monographies ont été consacrées à ce front par les historiens. De plus, l’éloignement des champs de bataille et des lieux de mémoire, l’éparpillement des sources en France, l’absence d’archives en Macédoine (ce qui ne semble pas être le cas en Bulgarie) et la barrière de la langue quand les recherches se déplacent dans les Balkans compliquent plus encore les recherches. Pourtant, comme nous l’avons déjà montré en présentant notamment…
En cette veille de Chandeleur, nous nous intéressons aux sources du ravitaillement militaire, en laissant la parole à Stéphane Le Bras, maître de conférences en histoire contemporaine et auteur d’une thèse intitulée Négoce et négociants en vins dans l’Hérault : pratiques, influences, trajectoires (1900-1970). *** Peu d’études ont été consacrées à l’histoire du ravitaillement alimentaire dans l’armée française pendant la Grande Guerre. Le sujet a longtemps été considéré comme un thème peu sérieux. Ainsi, le ravitaillement renvoyait simplement à un discours folklorique, symbolisé par l’argot du poilu où coexistaient « pinard », « singe », « popote » et autre « tambouille ». Cette vision largement caricaturale, matérialisée par exemple par les cartes postales, contribue à expliquer l’absence de travaux de fond sur les enjeux liés au ravitaillement alimentaire, alors même que les études s’élargissaient à l’Autre front. Il est primordial de comprendre que la question du ravitaillement des troupes françaises entre 1914 et 1918 dépasse le simple cadre de l’acheminement de telle ou telle denrée au front, sa quantité, son coût, son goût voire l’évocation du soutien au moral des soldats, et qu’elle participe à plein à l’économie de guerre. Très concrètement, l’analyse des sources à notre disposition sur le sujet permet de mettre en exergue des…