Orages d’acier, troisième épisode. Pourquoi Orages d’acier n’est-il pas à mettre dans toutes les mains, sans remise dans le contexte de la Grande guerre, mais aussi de l’après-1918 en Allemagne ? ____ La prudence s’impose. Ce témoignage a exercé – on vient d’en noter les ressorts – un magnétisme puissant dans une Allemagne déboussolée, après 1918. Orages d’acier pose les bases d’une société militarisée, presque sans classe, dynamique socialement, virile et impitoyable pour les faibles. Cette armée allemande décrite par Jünger reprend en le perfectionnant – révolution des transports et de l’industrie oblige – un modèle mis en place par un autre empereur : Napoléon Ier. Ce dernier a imaginé une Grande Armée auto-centrée et hermétique aux affaires civiles, une contre-société soudée par la camaraderie militaire : celle que l’on retrouve décrite par Conrad dans sa nouvelle Le Duel, portée à l’écran par Ridley Scott (Les duellistes). L’armée napoléonienne aux uniformes chatoyants et son va-et-vient continuel à travers toute l’Europe, a perfectionné le legs de glorieux précurseurs : celui de Louis XIV ou de Frédéric II de Prusse. L’Empereur français concentre ses forces sur une portion de territoire (le camp de Boulogne, par exemple), grâce à des prodiges de logistique…
Orages d’acier, deuxième épisode. Que manque-t-il à Orages d’acier pour pouvoir figurer au rang des ouvrages d’instruction ? ____ Mon opinion sur cette œuvre majeure n’a pas sa place dans la réponse à cette deuxième question. Quoi que j’en dise, elle poursuivra sa carrière entamée il y a près d’un siècle. Ernst Jünger a immédiatement trouvé son public, y compris de ce côté-ci du Rhin. Dans la présente réédition au format Livre de Poche, on commence ainsi par une préface de l’auteur lui-même à la traduction française, dans laquelle il affiche une tranquille certitude : la gloire et la paix des braves (on est en 1960). L’avant-propos du maréchal Juin n’apporte rien d’autre, il est vrai, qu’un lénifiant commentaire sur la différence entre ceux qui en ont (l’avant fait le boulot) et ceux qui traînent derrière avec les planqués; écrits trop rapides d’un ancien combattant de 14 ayant perdu un bras au feu, membre de l’Académie Française. Alphonse Juin ne souligne pas l’effort d’Ernst Jünger pour faire comprendre de l’intérieur la Grande guerre. On saisit l’immense quiproquo provoqué par Orages d’acier en lisant la citation élogieuse d’André Gide en quatrième de couverture. Qu’un maréchal de France et un géant subversif…
Les vacances sont terminées et, pour la rentrée, nous laissons le clavier au géographe Bruno Judde de Larivière, qui partage ses impressions sur sa lecture d’Orages d’acier en trois épisodes dont voici le premier. Bruno Judde de Larivière a déjà publié sur ce blog un article à propos du livre de Frederic Manning, Nous étions des hommes. ____ Orages d’acier, premier épisode. Critiquer Orages d’acier près d’un siècle après sa parution… Critiquer Orages d’acier près d’un siècle après sa parution (en 1920) … relève d’une mission quasi impossible. Ernst Jünger n’a reçu que des félicitations toute sa vie : sur le front et par la plume. Pourquoi vais-je chercher la petite bête ? Je m’en expliquerai en conclusion et me lance gaiement dans la controverse. Mon propos s’organisera autour de la réponse à trois questions successives. Pourquoi Orages d’acier persiste à nous séduire, tant d’années après son écriture, et pourquoi il convient de ne pas en être dupe ? Que manque t-il à ce journal de bord extrêmement retravaillé pour pouvoir figurer au rang des ouvrages d’instruction (l’ingénuité de l’auteur ne suffit pas à taire ses oublis) ? Pourquoi ‘Orages d’acier’ n’est-il pas à mettre dans toutes les mains, sans…