Les sources sont au cœur de La Moustache du soldat inconnu, l’enquête de Jérôme Prieur publiée aux éditions du Seuil en septembre. A travers ce récit, on mesure la fascination de l’auteur pour les correspondances et les témoignages laissés par les combattants de la Grande Guerre, comme il l’explique dans cet épisode de La Fabrique de l’histoire (Quand le conflit n’en finit pas. Ou l’obsession de la guerre). Pourquoi Jérôme Prieur publie-t-il « ses souvenirs de la guerre de 14 » aujourd’hui ? Il a accepté de me répondre. Comme je l’évoque dans mon livre, j’ai commencé à vouloir écrire une sorte de vie quotidienne des poilus vers l’âge de dix ans puis le projet a – heureusement – bifurqué, mais il ne m’a jamais lâché. Comme s’il était plus fort que moi. J’ai continué ainsi pendant des années, tout au long des grandes étapes de ma vie d’adolescent puis d’adulte, à lire des récits de combattants, des correspondances, à me documenter, en quelque sorte à ramasser sur le champ de bataille, bien après les faits, évidemment, des traces, des échos de cette guerre terrible : ce que j’ai appelé « mes souvenirs de la guerre de 14 ». J’accumulais des notes, je collectionnais…
Nous étions des hommes (Her Privates We) se déroule dans la Somme en 1916, il y a près de cent ans. Frederic Manning, universitaire australien mort dans l’Entre-deux-guerres, décrit là sa propre expérience de la guerre de tranchées. Il a lui-même échappé aux tirs ennemis mais son personnage principal meurt à la fin du roman. Manning ne se soucie pas d’attacher le lecteur au destin de Bourne. Le récit chronologique compte moins que la réflexion métaphysique sur la vie et la mort… Mieux vaut pour les amateurs de suspense et d’aventures épiques se détourner du roman. Nous étions des hommes ne parle presque pas des Allemands. Il y a une situation militaire à peine esquissée au départ. Un régiment britannique combat un ennemi bien retranché, dans un paysage plus rural qu’urbain métamorphosé par les bombardements. Rien n’offre de résistance aux obus : pas plus les hommes que la nature et les constructions qui s’affaissent et dissimulent mal les combattants. Manning ne se donne même pas la peine de présenter une situation stratégique (ou même tactique) de départ pour stimuler l’intérêt. On ne sait pas en lisant vers quoi s’orientent cette poignée de soldats. Les antimilitaristes qui ont trouvé dans Les…
Hommes en guerre (Menschen im Krieg) fait partie de ces rares œuvres littéraires pacifistes rédigées par un combattant de la Grande Guerre alors que celle-ci n’était pas encore terminée. Publié sous couvert de l’anonymat à Zürich en 1917, il est très rapidement traduit en plusieurs langues mais interdit dans les pays belligérants. C’est en effet un livre rédigé pour dénoncer la guerre, ce que l’auteur y a vu et subi. Ce livre moins connu qu’A l’Ouest, rien de nouveau d’Erich-Maria Remarque ou Quatre de l’infanterie d’Ernst Johannsen, pour ne citer que des romans en langue allemande, est cependant un pamphlet d’une très grande force car il est structuré en six nouvelles. Mais ce qui en fait une particularité littéraire pour le lecteur français, c’est qu’il est rédigé dans un style expressionniste auquel nous n’avons pas été habitués dans notre pays. La littérature de Latzko, au même titre que la poésie dada, ou l’expressionnisme allemand en peinture et dans le cinéma, est le fruit du traumatisme de la guerre en Europe, et particulièrement en Europe centrale. C’est pourquoi je voudrais évoquer l’auteur avant son œuvre. Andreas Latzko est un écrivain et journaliste hongrois, né à Budapest en 1876. Volontaire d’un an…
J’ai récemment découvert le livre d’Ernst Johannsen, Quatre de l’infanterie. Je connaissais le film de guerre allemand directement inspiré du roman : Westfront 1918, réalisé par Georg Wilhelm Pabst en 1930, est connu en France sous le titre Quatre de l’infanterie. Il y a quelques années, il a été diffusé dans l’émission le Cinéma de minuit sur FR3, à l’occasion d’un cycle Première Guerre mondiale. Pabst a réalisé une œuvre cinématographique proche du documentaire. Pendant plus d’une heure trente, le spectateur suit le quotidien de quatre soldats allemands sur le front de l’ouest en 1918. Les bruits de la guerre (bombardements, explosions, coups de feu, cris) remplacent une musique quasiment absente et couvrent des dialogues rares et courts (voir ici un extrait du film Quatre de l’infanterie). Ce film pacifiste est, à mon avis, l’un des meilleurs films consacrés à la Grande Guerre. La découverte récente du roman m’a amené à m’intéresser au mystérieux Ernst Johannsen et à ses traducteurs. Le livre est très bien présenté par Arnaud Carrobi sur son blog Le parcours du combattant de la guerre 1914-1918. La version française du roman a été publiée aux Editions de l’Epi à Paris en 1929 et la traduction est…
Enfant, après avoir vu le film d’Yves Robert de 1962, j’ai lu avec plaisir La guerre des boutons et je me suis ensuite intéressé au destin de son auteur, Louis Pergaud, instituteur devenu écrivain, né à Belmont (Doubs) le 22 janvier 1882. Après la parution de Goupil à Margot, son recueil de nouvelles animalières couronné par les Goncourt en 1910, Pergaud devient célèbre et publie encore La Revanche du Corbeau, Le roman de Miraut, diffusé en feuilleton dans L’Humanité, et La Guerre des boutons. En 1914, La vie des bêtes paraît dans L’Homme libre de Clemenceau. Pergaud est un écrivain engagé, patriote, républicain et pacifiste. Quand la guerre est déclarée, il est mobilisé au 166e régiment d’infanterie de Verdun, où il est sous-officier. En mars 1915, il est promu sous-lieutenant et il commande la 1re section de la 2e compagnie du 166e RI quand le régiment est chargé de prendre la cote 233 près du village de Marcheville-en-Woëvre dans la Meuse. Dans la nuit du 6 au 7 avril 1915, il disparaît à jamais, englouti dans la boue de la Woëvre. J’ai découvert Carnet de guerre récemment. Si des fragments ont été publiés en 1938 (Mélanges, Paris, Mercure de France,…
Dimanche dernier, alors que je flânais en famille le long des étals d’un vide-grenier, mon attention s’est portée sur une Etude sur Rudyard Kipling, chantre de la Grande Guerre (1914-1918). Ce livret de 60 pages est la version publiée de conférences données à l’Hôtel de ville de Versailles en juin 1921 par Victor Glachant (1864-1941), professeur de rhétorique aux lycées Buffon à Paris puis Hoche à Versailles. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages de pédagogie et d’études littéraires, telle cette étude consacrée à Rudyard Kipling. Rudyard Kipling doit sa notoriété à des livres pour enfant : qui ne se souvient du Livre de la jungle, de Capitaines courageux ou de Kim ? Dans ses romans, dans ses nouvelles comme dans ses poèmes, Kipling exalte souvent la gloire et la grandeur de l’empire britannique. Ses héros sont souvent de petites gens, qui œuvrent à cette grandeur : les marins, les soldats, les ingénieurs, les fonctionnaires, etc. Le prix Nobel de littérature lui est décerné en 1907 ; il est à alors à l’apogée de sa carrière. Chantre de l’impérialisme britannique, il s’en détache peu à peu quand la dimension mercantile s’impose aux ambitions politiques et morales. Néanmoins, en 1914, il s’investit dans le lutte contre l’Allemagne. Cet épisode de la vie…