Au lendemain de la guerre franco-allemande de 1870-1871, de considérables efforts financiers et matériels permettent de réorganiser l’armée. Constatant que les effectifs instruits militairement pour défendre le pays ont été insuffisants, le haut commandement décide de réformer l’encadrement, l’équipement des unités et surtout le recrutement. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, comme les engagements volontaires sont trop peu nombreux pour entretenir une armée d’active et des réserves, la France opte pour la conscription, malgré l’hostilité de la majorité des Français. A la veille de la Première Guerre mondiale, « le recrutement embrasse l’ensemble des mesures ayant pour but la constitution et l’entretien de l’effectif de l’armée et de ses diverses réserves » (Dictionnaire militaire. Encyclopédie des sciences militaires, Berger-Levrault, Paris, 1910, p. 2397).
L’adoption des premières lois de recrutement a donné lieu à de vifs débats à la Chambre des députés. Une partie de la droite est resté longtemps hostile à un service militaire universel et obligatoire. Elle préfère une armée de métier, croyant qu’elle est seule capable de maintenir l’ordre en France et estimant que les soldats de métier sont bien meilleurs dans l’offensive que les conscrits. A gauche, beaucoup réclament une réduction de la durée des services actifs et des effectifs de l’armée permanente, tout en projetant une organisation militaire de la Nation pour mener une guerre défensive. Cependant, la conscription s’impose progressivement en France avec cette idée qu’en cas de guerre, l’armée active doit supporter le premier choc d’une invasion avant d’être renforcée par une armée de réserve, encadrée par des cadres de réserve. Dès le temps de paix, la conscription doit aussi permettre à l’armée de reconstituer ses forces, de maintenir des effectifs nombreux sous les drapeaux, de disposer de réserves instruites et d’être finalement capable de s’opposer à l’armée allemande. Néanmoins, il faut plus de 30 ans (de la première grande loi sur le recrutement de 1872 à la loi de 1905) pour que la République impose la conscription universelle, obligatoire et égalitaire.
La loi fixe la durée des services militaires dans l’armée active et sa réserve ainsi que dans l’armée territoriale et sa réserve. De 1872 à 1913, les quatre grandes lois sur le recrutement se caractérisent par un allongement de la durée des services. La première loi de recrutement est celle du service militaire pour « tous » les Français du 27 juillet 1872. En réalité, cette loi est la plus inégalitaire de toutes les lois de recrutement. Le remplacement est supprimé mais le tirage au sort est maintenu. Les bons numéros font un an de service tandis que ceux qui ont tiré le mauvais numéro sont astreints à un service de cinq ans. Certaines exemptions sont maintenues notamment pour les enseignants et les ecclésiastiques. Cependant, le principe d’un service obligatoire est adopté.
En 1888, une étape décisive est franchie. Un civil, Charles de Freycinet, est nommé ministre de la Guerre. La même année, le général Joseph de Miribel devient chef d’état-major général de l’armée. Leur intention politique est de restaurer l’unité morale de l’armée après la crise boulangiste. Les deux polytechniciens souhaitent également achever la modernisation de l’armée, en la dotant d’un grand état-major, et imposer une nouvelle loi de recrutement. Ils constatent que la loi de 1872 est inadaptée. En effet, il est difficile de maintenir deux tranches (un an et cinq de service actif) et de conserver le tirage au sort, trop inégalitaire. De plus, la longueur du temps de service (5 ans) est trop coûteuse pour le budget de l’Etat pour des résultats mitigés : le service actif de cinq ne fait pas de meilleurs soldats. Freycinet et Miribel en viennent donc à la conclusion qu’il faut adopter un service plus court mais aussi plus égalitaire.
La loi du 15 juillet 1889 dispose que « tout Français doit le service militaire personnel » et que « l’obligation du service est égale pour tous ». La durée des obligations militaires passe de 20 à 25 ans, mais le service dans l’armée active est réduit à trois ans. Les engagements conditionnels sont supprimés ainsi que les dispenses dont bénéficiaient les enseignants, les élèves des grandes écoles et les séminaristes. La loi de 1889 est aussi la loi des « curés sac au dos ! ». Néanmoins, le tirage au sort est maintenu. Il permet de désigner les conscrits susceptibles d’être renvoyés dans leurs foyers au bout d’une année de service, principalement pour des raisons budgétaires. De plus, la durée du service actif est limitée à un an pour les élèves des grandes écoles, les étudiants et les séminaristes. Enfin, les conscrits remplissant certaines conditions familiales peuvent bénéficier de congés. Le service militaire est devenu universel et indiscutablement, la nouvelle loi de recrutement représente un progrès en faveur de l’égalité.
Par la suite, L’État légifère peu en matière de recrutement, seule la loi de 1892 réorganise les réserves. En 1905, et malgré les oppositions venant notamment de certains généraux, le pouvoir parvient à faire inscrire dans la loi l’abandon du tirage au sort et la réduction à deux ans de la durée du service obligatoire dans l’armée active. La loi du 21 mars 1905 est celle du service égal pour tous. Plus de 80 % des jeunes hommes d’une même classe sont désormais incorporés dans les armées pour accomplir un service actif de deux ans. Seuls sont exempts les jeunes Français déclarés inaptes physiquement par le conseil de révision. Le service militaire devient égalitaire. Cependant, pour compenser l’infériorité numérique de l’armée française par rapport à l’armée allemande, une nouvelle loi allonge la durée des services le 7 août 1913. La loi ne fait pas l’unanimité. Les socialistes et certains radicaux sont hostiles. Cependant, elle est votée, par la droite et une partie de la gauche, et permet d’imposer un service actif de trois ans et fait passer les obligations militaires à 28 ans. Ainsi, la France parvient à maintenir sous les drapeaux des effectifs comparables à ceux de l’armée allemande alors que la population française est inférieure à celle de l’Allemagne.
A la veille de la Première Guerre mondiale, plusieurs étapes jalonnent les obligations militaires de tous les Français aptes au service armé. Après le recensement et le passage devant le conseil de révision, les conscrits sont appelés pour servir dans des unités de l’armée active : cette période est souvent appelée, improprement, le service militaire. Au terme de cette période, ils retournent à la vie civile et passent dans la réserve de l’armée active. Ils sont astreints à des périodes d’instruction et, en cas de mobilisation, ils doivent rejoindre leur affectation de mobilisation dans une unité d’active ou de réserve ou, un dépôt. Une fois cette étape de plusieurs années achevée, les Français passent dans l’armée territoriale et servent dans des régiments territoriaux en cas de mobilisation. Enfin, la réserve de l’armée territoriale clôt les obligations militaires. Chaque nouvelle loi de recrutement s’applique à tous les Français, y compris ceux qui ont déjà entamé leurs obligations militaires sous une autre loi de recrutement. Les Français ne restent donc pas liés à la loi qui prévalait au moment de l’incorporation. En août 1914, trois classes sont encore sous les drapeaux, en raison de la loi des trois ans de 1913. Pour combler les pertes, la classe 1914 est appelée par anticipation deux mois avant la date prévue. Ensuite, chaque année de la guerre une classe est appelée, mais toujours avec onze mois d’avance pour la classe 1915 et plus d’un an et demi d’avance pour les classes 1916 à 1919 sur la date théorique d’incorporation. Ainsi, au lieu d’avoir 20 ans au moment de leur incorporation, les recrues n’en avaient que 18 ou 19.
Il a fallu du temps au pouvoir politique pour imposer un service militaire obligatoire, universel et égalitaire en France. En 1914, tous les jeunes Français déclarés aptes doivent un service militaire personnel. Cette obligation est égale pour tous et elle dure 28 ans, de l’âge de 19 ans à 47 ans accomplis. Ainsi en 1914 et contrairement à 1870, l’armée française, forte de ses effectifs nombreux, peut couvrir les frontières dès la déclaration de la guerre, avec l’armée active. Ensuite, au cours des premières semaines du conflit, les troupes de couverture sont renforcées par les unités de réservistes. De cette manière, en août 1914, 3 600 000 Français répartis dans 72 divisions d’infanterie sont mobilisés, parmi lesquels 1 300 000 soldats engagés au front. Dans le même temps, l’armée allemande engage près de 4 000 000 de soldats dont 1 500 000 au front. Au total, 8 700 000 Français appartenant à 33 classes différentes sont mobilisés (classes 1887 à 1920) de 1914 à 1918.
Le mode de recrutement adopté en 1905 est celui de la France jusqu’en 1996. Seule la durée du temps de service actif évolue. Supprimée pendant la Seconde Guerre mondiale puis rétablie à la Libération, la conscription a pour objectif la défense de la métropole. La dernière grande guerre de conscription est la guerre d’Algérie de 1954 à 1962. Près de 2 millions d’appelés ou de rappelés servent en Algérie. Au lendemain du conflit algérien, la France modernise son armée et entre définitivement dans l’ère nucléaire. Le recrutement est réformé et tend vers une baisse de la durée du service dans l’active. Finalement, l’appel sous les drapeaux est suspendu en 1996. Aujourd’hui, la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) est la 3e étape du « parcours de citoyenneté », Elle s’impose à tous les citoyens, femmes et hommes, avant l’âge de 18 ans. Pourtant, suspension ne veut pas dire abandon : «L’appel sous les drapeaux est suspendu pour tous les Français qui sont nés après le 31 décembre 1978 et ceux qui sont rattachés aux mêmes classes de recensement. Il est rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent ».
Ce billet est inspiré d’un article publié dans Archives de la Grande Guerre. Des sources pour l’histoire, sous la direction de Philippe Nivet, Coraline Coutant-Daydé et Matthieu Stoll, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2014.
Pour en savoir plus…
- William Serman, Jean-Paul Bertaud, Nouvelle histoire militaires de la France. 1789-1919, Paris, Fayard, 1998.
- Pierre Guinard, Jean-Claude Devos, Jean Nicot, Inventaire sommaire des archives de la Guerre. Série N 1872-1919. Introduction, Troyes, La Renaissance, 1975.
- Paul-Marie de La Gorce, La République et son armée, Paris, Fayard, 1963.
- Odile Roynette, « Bons pour le service ». L’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000.
- Annie Crépin, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009.
- Philippe Boulanger, La France devant la conscription, géographie historique d’une institution républicaine, 1914-1922, Paris, éditions Economica, 2001.
- André Corvisier [dir.], Histoire militaire de la France tome III, De 1871 à 1940, sous la direction de Guy Pedroncini, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, 522 pages.
- http://combattant.14-18.pagesperso-orange.fr/
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