Orages d’acier, deuxième épisode. Que manque-t-il à Orages d’acier pour pouvoir figurer au rang des ouvrages d’instruction ? ____ Mon opinion sur cette œuvre majeure n’a pas sa place dans la réponse à cette deuxième question. Quoi que j’en dise, elle poursuivra sa carrière entamée il y a près d’un siècle. Ernst Jünger a immédiatement trouvé son public, y compris de ce côté-ci du Rhin. Dans la présente réédition au format Livre de Poche, on commence ainsi par une préface de l’auteur lui-même à la traduction française, dans laquelle il affiche une tranquille certitude : la gloire et la paix des braves (on est en 1960). L’avant-propos du maréchal Juin n’apporte rien d’autre, il est vrai, qu’un lénifiant commentaire sur la différence entre ceux qui en ont (l’avant fait le boulot) et ceux qui traînent derrière avec les planqués; écrits trop rapides d’un ancien combattant de 14 ayant perdu un bras au feu, membre de l’Académie Française. Alphonse Juin ne souligne pas l’effort d’Ernst Jünger pour faire comprendre de l’intérieur la Grande guerre. On saisit l’immense quiproquo provoqué par Orages d’acier en lisant la citation élogieuse d’André Gide en quatrième de couverture. Qu’un maréchal de France et un géant subversif…
La commémoration du centenaire de l’entrée des États-Unis dans la guerre s’est traduite par la publication de plusieurs ouvrages en France. Le dernier livre de Bruno Cabanes, Les Américains dans la Grande Guerre, a retenu mon attention. Cette synthèse portant sur un sujet encore méconnu en France est accompagnée d’une riche iconographie, bien mise en valeur dans ce bel album publié chez Gallimard. L’historien Bruno Cabanes occupe la chaire Donald G. et Mary A. Dunn d’histoire de la guerre moderne à l’Ohio State University (Etats-Unis). Il a bien voulu répondre à nos questions. 1/ Pourquoi écrivez-vous de la Première Guerre mondiale qu’elle est « la guerre oubliée de l’Amérique » ? L’histoire de la Grande Guerre est méconnue de la plupart des Américains, qui l’étudient peu au cours de leur scolarité et pour lesquels elle représente un conflit lointain. Cela peut paraître d’autant plus étonnant que 1917 marque une coupure importante dans l’histoire militaire et internationale du pays, les Etats-Unis accédant véritablement à un rang de première puissance mondiale, et l’armée américaine devenant, en l’espace de quelques mois, une armée moderne, mieux entraînée et mieux équipée. On dit parfois qu’il y a trois conflits omniprésents dans la mémoire collective des…
La Révolution russe est souvent présentée comme l’un des principaux jalons de l’histoire du XXe siècle. Au lendemain du coup d’état bolchevique en octobre 1917, la Russie se désintègre dans une guerre civile, qui dure de l’automne 1917 à l’été 1922. Cette guerre civile, qui ne saurait se réduire à l’affrontement des rouges et des blancs, provoque la destruction et la ruine de l’ancien empire des tsars. Les combats, les exactions, les pillages, les famines, les régimes de terreur, le froid, les maladies font plus de 10 millions de victimes. Jusqu’à présent, aucune synthèse n’avait été publiée en France sur cet épisode tragique de l’histoire russe. Historien et haut fonctionnaire, Alexandre Jevakhoff (Les Russes Blancs chez Tallandier et Le roman des Russes à Paris aux éditions du Rocher) publie cette première étude française à partir des archives russes notamment. Nous lui avons posé quelques questions afin de mieux connaître les matériaux qui ont nourri ce travail historique. Aujourd’hui, la guerre civile russe est méconnue en France. Qu’en est-il en Russie ? La guerre civile a toujours suscité un intérêt considérable en Russie, représentant en quelque sorte le geste fondateur de l’URSS, au moins jusqu’en 1945, quand le stalinisme et l’effet des années…
Je n’avais jamais lu de carnets de guerre d’un combattant ottoman pendant la Première Guerre mondiale, faute de traduction française. Les éditions Petra viennent de combler ce vide en publiant Souvenirs d’un officier ottoman (1914-1918) de Faik Tonguç. Longtemps oublié, ce récit, transcrit en alphabet turc moderne après la guerre par Tonguç, est publié une première fois en 1960. C’est un texte étonnant, qui propulse le lecteur dans l’armée ottomane du front méconnu du Caucase à la Russie du Nord, où Tonguç est prisonnier de guerre. L’auteur relate son épopée de son évasion jusqu’à son retour en Turquie. Préfacés par Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut, ces souvenirs ont été traduits par Bruno Elie, diplômé des Langues O’ en russe et en turc et passionné par l’histoire de la Première Guerre mondiale. Nous lui avons posé quelques questions au sujet de ce livre passionnant et de son travail de traduction. Qui est Faik Tonguç ? Faik Tonguç (1889-1968) nait à Çorum, sur le plateau anatolien, dans une famille qui a subi des revers de fortune. Il fait de bonnes études à Ankara puis entre à l’équivalent ottoman de l’Ecole Nationale d’Administration. A la fin de ses études, il passe deux ans en…
Gustave Blanchot (1883-1968), alias Gus Bofa, est absent de la plupart des dictionnaires de la Grande Guerre publiés ces dernières années. Il doit sa notoriété aux dessins publicitaires ainsi qu’aux illustrations de livres d’auteurs classiques. Pourtant, l’œuvre de cet illustrateur s’est abondement nourrie des horreurs des deux guerres mondiales. En janvier 2014, une exposition intitulée « Gus Bofa, l’adieu aux armes » lui rendait hommage en montrant notamment la part que tenaient la guerre et l’armée dans son œuvre. Le Livre de la guerre de Cent ans de Gus Bofa, réédité aux Éditions Cornélius en 2007, m’a beaucoup plu. Bofa est le petit-fils d’Aquilas Jean Baptiste Blanchot (1806-1862), saint-cyrien, intendant militaire et directeur de l’administration au ministère de la Guerre. Il est aussi le fils de Charles Blanchot (1834-1918), saint-cyrien et officier d’infanterie. Charles a occupé les fonctions d’aide de camp du maréchal Bazaine au Mexique de 1862 à 1867. Pendant cette période, il a également été détaché auprès du gouvernement de l’empereur Maximilien, où il a occupé les fonctions de sous-secrétaire d’État à la Guerre (1866). De son expérience au Mexique, Charles Blanchot publie des mémoires en 1911. A la fin de sa carrière, le père de Gus Bofa est chargé…
Publiée en 1934, La Comédie de Charleroi de Pierre Drieu La Rochelle rassemble six nouvelles sur la Grande Guerre (voir sur le site internet du CRID la fiche consacrée à cet auteur). La première, intitulée La Comédie de Charleroi, porte sur la célèbre bataille d’août 1914. En 1919, la mère d’un jeune soldat du nom de Claude Pragen, tué pendant la bataille de Charleroi en Belgique (21-23 août 1914), décide de voir l’endroit où son fils est tombé. Un camarade de régiment de Claude l’accompagne et raconte ce voyage rendu burlesque par la vanité de cette femme. À travers ce pèlerinage, le narrateur revit sous forme de comédie ce qu’il a vécu comme une tragédie. Cette nouvelle, à mi-chemin entre la confession et l’invention, décrit le fossé qui sépare ceux qui ont vécu les combats et les gens de l’arrière. Le lecteur est transporté sur le champ de bataille ; il suit le héros au moment de son baptême du feu ; il est témoin de son découragement, de son exaltation et de sa peur ; enfin, il est sur le champ de bataille après la guerre. Dans ce récit transparaît l’expérience douloureuse, et jamais oubliée, de la guerre des combattants. En avril…