La défaite de 1871 provoque une prise de conscience, chez le pouvoir politique et l’autorité militaire, de la nécessité de réformer l’armée. Tout comme le recrutement (voir le billet précédent) ou l’organisation de l’armée, la formation des militaires devient une priorité. De plus, au tournant des XIXe et XXe siècles, l’institution militaire ne peut pas rester à l’écart du mouvement de scolarisation qui touche la société française. Progressivement, les officiers se passionnent pour les études et le travail intellectuel, une sorte d’âge d’or pour de nombreux militaires aujourd’hui. Officiers et surtout sous-officiers deviennent les chevilles ouvrières de l’instruction dans les armées. Ainsi à la veille de la Première Guerre mondiale, les cadres sont non seulement instruits et formés pour commander au feu mais aussi pour préparer des millions de Français à combattre.
I / Avant les obligations militaires
La formation militaire des Français commence bien avant les obligations militaires. Dès leur plus jeune âge à l’école primaire, les jeunes Français sont préparés mentalement et physiquement à l’idée de servir militairement le pays. Par exemple, à partir des années 1880, des cours de gymnastique et d’exercices militaires pour les garçons sont inscrits au programme des écoles primaires.
De nombreux fils de militaires, parfois très jeunes, intègrent l’une des six écoles militaires préparatoires. Dans ces établissements, l’instruction académique et physique des enfants de troupe est assurée par l’armée. Ils reçoivent aux frais de l’État, une instruction et une éducation utiles au pays et à son armée. Ceux qui choisissent de s’engager dans les armées, le passage chez les enfants de troupe forge les caractères d’hommes qui deviennent des soldats et des sous-officiers rigoureux, disciplinés et endurants.
Enfin, les classes préparatoires (les « corniches ») au lycée ou dans l’enseignement religieux (par exemple l’École Saint-Geneviève de la rue des Postes à Paris) permettent à des jeunes hommes de préparer les concours d’entrée aux grandes écoles militaires (Saint-Cyr, Polytechnique, médecine militaire, Navale). Le prytanée militaire reste une exception puisque l’enseignement est délivré d’après les programmes universitaires, mais les brutions (surnom attribué aux élèves et anciens élèves du Prytanée militaire de La Flèche) sont soumis à un régime de discipline et d’entraînement militaires.
II/ La formation de la troupe pendant le service militaire actif
Cependant, pour la majorité des Français, la véritable formation militaire commence avec l’incorporation dans un régiment au moment du fameux service militaire. L’instruction des militaires du rang se fait dans la caserne, où les conditions de vie sont très difficiles. En moyenne, les conscrits effectuent six à huit heures d’exercices par jour, en plus des corvées. Le but de cette instruction, codifiée par des textes réglementaires, est d’abord de préparer individuellement puis collectivement les recrues à manœuvrer et à combattre. Dans les unités, les soldats apprennent les grades et les nombreux commandements. La troupe apprend tous les aspects du métier militaire grâce à des méthodes d’enseignement appelées aussi écoles qui comprennent différents niveau (écoles du soldat, de la section, de la compagnie, du bataillon). Les exercices physiques constituent le socle de l’instruction militaire d’un soldat. Le conscrit reçoit une éducation physique à base de gymnastique, de tir et de marches, très nombreuses. Il participe aux manœuvres (service en campagne) et effectue des travaux avec sa compagnie. Les exercices intellectuels ne sont pas absents de la formation du soldat. Il suit des cours théoriques sur les manœuvres ou l’armement. Il assiste à des représentations théâtrales et à des conférences sur divers sujets (relations internationales, histoire, littérature, etc.), qui sont données par les officiers du régiment. Enfin, pour renforcer l’esprit de corps dans les unités, une salle d’honneur est installée dans chaque régiment dès la fin des années 1880. Ce « musée éducatif » permet de mettre en valeur les traditions, l’histoire, les morts du régiment sur fond de lien entre l’armée, la Nation et la République.
Les conscrits éduqués et qui s’illustrent au cours de leur formation militaire initiale ont la possibilité de devenir caporal puis sous-officier, après plusieurs mois de service. Avant la Première Guerre mondiale, les sous-officiers de métier, engagés, rengagés et appelés sont formés, sur le tas, pour assurer le service intérieur d’une unité et pour commander des hommes au combat. Toutefois, le corps des sous-officiers se caractérise par sa mauvaise réputation (alcoolisme, brutalités, etc.) et la médiocrité de la formation de ses membres. Pourtant, les sous-officiers constituent la colonne vertébrale de l’armée. Il jouent un très grand rôle dans l’instruction puisqu’il assure le « dressage » des soldats, forment les soldats élèves-caporaux, les caporaux élèves-sergents et les candidats pour officiers de réserve. Toutefois, les meilleurs sous-officiers peuvent intégrer le corps des officiers à condition de réussir le concours dans une école militaire d’armes. Pendant plusieurs mois, ils suivent des cours préparatoires organisés au sein des unités. Les épreuves du concours portent sur un programme fondé sur celui de l’enseignement primaire supérieur.
Dans la Marine, l’inscription maritime n’est plus adaptée à l’évolution technique de la flotte. Une partie des inscrits maritimes ne possèdent pas les connaissances techniques ni l’instruction pour les acquérir. Pour surmonter ces difficultés de recrutement et de formation, la marine fait appel à des conscrits du contingent qui possèdent des savoir-faire plus utiles à la Royal qu’à l’armée. En outre, L’École des mousses et apprentis marins de Brest est réorganisée en 1910. Seule L’École des apprentis mécaniciens, fondée à Lorient en 1900, ne connaît pas de difficultés de recrutement.
Dans cette organisation, l’officier joue un rôle fondamental en qualité d’instructeur militaire mais aussi d’éducateur civique. Le commandant Hubert Lyautey développe cette idée quand il publie « Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel » dans la Revue des Deux mondes en 1891. L’officier doit être plus souple dans son commandement et il doit se préoccuper de l’éducation de ses hommes. Il est un éducateur qui prolonge, au sein des armées, l’action entreprise par le maître d’école. Progressivement, les officiers sont préparés à assurer ce rôle au cours de leur formation, mais avant même la déclaration de la guerre, le commandement abandonne cette option par manque de temps et d’argent. La mission principale reste l’instruction et la préparation des hommes au combat.
III/ La formation des officiers
Après 1871, le corps des officiers est rapidement reconstitué. Les réformes portent principalement sur le recrutement et la formation des officiers. Les modalités de recrutement se démocratisent et mettent en valeur le travail et le mérite. L’officier issu du rang et peu instruit cède progressivement la place à l’officier recruté par un concours national et formé dans des écoles spécialisées dispensant un enseignement de haut niveau.
Le recrutement direct concerne les hommes admis par concours dans une école de formation militaire sur la base de l’enseignement secondaire et du baccalauréat. À la veille de la Grande Guerre, les plus connues sont l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (pour l’infanterie et la cavalerie), l’École polytechnique (pour le génie et l’artillerie), l’École navale, l’École du service de santé militaire de Lyon ou encore l’École du service de santé de la Marine. Encadrés durement, les recrues, souvent de jeunes aristocrates désargentés pour qui l’armée reste un refuge ou des fils de la petite bourgeoisie de province, reçoivent une formation académique et militaire, propre à la formation de l’officier français. Il règne dans ces établissement un fort esprit de corps, parfois depuis les classes préparatoires, qui résulte des brimades et de l’apprentissage d’un cadre hiérarchique rigide. Enfin, si certains élèves-officiers méprisent toujours la « pompe » (l’enseignement académique), ils sont de plus en plus nombreux à comprendre ce que représente le prestige intellectuel et culturel dans une armée de conscrits. Pendant la guerre, ces officiers assurent la majorité des commandements de bataillons, de régiments et des grandes unités (brigades, divisions, corps d’armée).
Certains sous-officiers deviennent officiers après avoir été reçus au concours d’entrée dans les écoles militaires d’armes (recrutement indirect). Pendant un an, ils sont formés à Saint-Maixent pour l’infanterie, à Saumur pour la cavalerie, à Fontainebleau pour l’artillerie et le train et à Versailles pour le génie. Ils suivent des cours d’histoire, de géographie, de topographie, de fortifications, d’artillerie, etc. Créé à l’origine pour favoriser la promotion de tous les sous-officiers, ce mode de recrutement avantage finalement les sous-officiers qui ont échoué au concours d’entrée des grandes écoles militaires (et donc les plus instruits). Dans la marine, ce type de formation est plus tardif. Cependant, le manque d’officiers dans l’empire conduit à la création d’un cours préparatoire pour les premiers maîtres candidats au grade d’enseignes de vaisseaux. De plus, le corps des officiers mécaniciens (créé en 1860) recrute ses membres parmi les officiers mariniers mécaniciens et les anciens élèves des écoles d’arts et métiers (Angers, Aix, Châlons). Enfin, les officiers d’administration, souvent issus du corps des sous-officiers, sont formés à l’École d’administration militaire de Vincennes. Pour terminer, une minorité de sous-officiers peut accéder à l’épaulette à l’ancienneté, sans suivre de formation ainsi que certains élèves de grandes écoles et quelques officiers de complément qui remplissent certaines conditions d’aptitude. Dans la forme, cette formation existe toujours.
Tous les officiers de l’armée active ont la possibilité d’intégrer l’École supérieure de guerre. La création de cette école en 1875 s’inscrit dans la vague de réformes qui consistent à instruire les officiers aux techniques d’état-major. Les stagiaires, admis par concours, suivent des cours de stratégie, de tactique générale, d’histoire militaire, mais aussi d’économie ou de droit international. Les stagiaires obtiennent un brevet d’état-major à l’issue de la formation et d’un examen de fin de scolarité. Les officiers brevetés constituent une élite militaire, minoritaire, destinée à servir dans les grands états-majors, à commander de grandes unités et à gagner un jour les étoiles. L’enseignement militaire supérieur comprend aussi le centre des hautes études militaires, créé en 1910, et qui prépare les officiers à occuper des fonctions au sein du haut commandement. Dans la marine, cet enseignement est plus difficile à mettre en œuvre. En 1895, une école supérieure de la marine est créée mais elle est réformée à plusieurs reprises et devient l’Ecole supérieure de la Marine en 1898. Elle est destinée à préparer les officiers à la guerre et les stagiaires admis à suivre les cours étudient les matériels, les doctrines de guerre navale, la tactique navale, les machines, le fonctionnement des arsenaux, le budget de la marine, l’histoire maritime.
Enfin, la loi sur le recrutement de 1905 créée un cadre d’officiers de complément (ou de réserve). Ce « corps » est ouvert aux anciens cadres de l’armée active, aux engagés volontaires diplômés et aux élèves de certaines grandes écoles civiles. Pour ces-derniers, l’accession à l’épaulette se fait après avoir suivi une instruction militaire dans leur école et réussi un examen. Le corps est aussi ouvert aux autres étudiants (les appelés diplômés). Au cours de la première année de service actif, ils doivent passer un concours puis suivre un stage de formation dans une école d’élèves officiers de réserve. Après le service actif, les officiers de complément sont obligés d’effectuer des périodes d’instruction (tous les deux ans théoriquement).
La diversité des formations contribue à expliquer les fortes tensions qui existent entre les différentes catégories d’officiers. Par exemple, les officiers formés dans les grandes écoles militaires sont conscients d’appartenir à une élite et méprisent les officiers issus du rang ou les réservistes. Ces clivages disparaissent avec la guerre, les réservistes et les officiers de l’active étant employés de la même manière.
Pour conclure
Les quatre années de guerre mettent entre parenthèses la formation des militaires telle qu’elle était organisée avant la guerre. Les pertes très importantes et la nécessité de les combler rapidement expliquent l’accélération du processus de formation des militaires. Le haut commandement s’appuie sur une formation sur le tas, acquise au front et uniquement destinée au combat. Cependant, au front, l’instruction de la troupe se poursuit en arrière de la ligne de front tandis que des formations spécifiques et techniques sont développées à l’arrière (instruction sur les mitrailleuses, les grenades, les avions, les chars, les sous-marins…). À la fin de la guerre, la formation des militaires reste une priorité du commandement, qui tient compte désormais des nouvelles spécificités technique. Il doit aussi veiller à la reconstitution de l’encadrement, sorti terriblement meurtri du conflit.
Depuis les années 1970 et les travaux entrepris par Serge-William Serman et Jean-Paul Bertaud, la formation des militaires avant et pendant la Première Guerre mondiale a fait l’objet de quelques études. Parmi les ouvrages généraux, celui de Raoul Girardet (La société militaire de 1815 à nos jours) propose une étude des mentalités et des idées de la société militaire, sans négliger la formation. Si l’histoire des grandes écoles militaires est bien connue aujourd’hui, celle de la formation et de l’instruction des militaires l’est beaucoup moins. Les publications sur l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr ou encore l’Ecole Polytechnique sont abondantes, mais des études récentes sur les écoles militaires d’arme ou la formation des officiers de complément manquent dans l’historiographie. La formation théorique des militaires a fait l’objet de plusieurs travaux parmi lesquels ceux d’Annie Crépin (Histoire de la conscription) et d’Odile Roynette (Bons pour le service), qui intègrent la formation du conscrit.
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