Xavier Boniface, professeur à l’Université du Littoral Côte d’Opale, est connu pour ses travaux sur le fait religieux dans les armées. Dans son dernier livre, il s’intéresse aux relations entre l’Église, l’État et l’armée de 1879 à 1914. Nous lui avons demandé de nous parler des sources qui lui ont permis de mener son travail et nous l’avons interrogé sur les archives de l’aumônerie militaire pendant la Grande Guerre, à l’heure où celle-ci s’organise pour commémorer le centenaire (voir l’article de La Croix du 20 mars 2013).
Dans votre dernier livre L’armée, l’Église et la République (1879-1914), vous montrez à plusieurs reprises qu’il est possible d’entrevoir les orientations religieuses et politiques des officiers (p. 184 et suivantes). Pouvez-vous nous indiquer quelles ont été vos sources et quelles informations vous en avez retirées ?
En fait, une majorité d’officiers ne semblent pas s’intéresser, ou seulement de loin, aux questions politico-religieuses. Pour les autres, on peut connaître leurs idées à travers les écrits que certains d’entre eux ont publiés. Des archives familiales privées sont – dans les rares cas où on en trouve ! -, de précieuses sources. Les rapports des préfets, demandés à partir de 1902, donnent aussi quelques renseignements, mais ils sont souvent peu précis. Une dizaine de centres d’archives départementales en conservent. Ces sources permettent de mesurer le degré de visibilité, ou de liberté d’expression que s’octroient les officiers dans une armée qui exige la neutralité en matière politique et religieuse. Contrairement à ce que les anticléricaux affirment, notamment à la Belle Époque, les militaires sont loin d’être les tenants d’une « alliance du sabre et du goupillon ». Ce ne sont pas des monarchistes réactionnaires, sauf quelques rares exceptions qui ne s’en cachent pas. En revanche, il apparaît une divergence d’interprétation sur la signification du républicanisme – on le mesure aux protestations d’officiers qui se disent républicains. Pour les radicaux au pouvoir, c’est se rallier à leurs idées et à leur programme, notamment anticlérical. Pour nombre d’officiers, c’est le loyalisme envers les institutions du régime qui doit primer. Mais ce clivage n’est pas propre aux militaires : il concerne tous les fonctionnaires, avec plus ou moins d’intensité. Comme les officiers encadrent une armée de conscription, il est attendu d’eux d’être des relais auprès des futurs citoyens de l’idéologie radicale.
En particulier, comment avez-vous exploité les dossiers de carrière d’officiers, dans lesquels on ne s’attend pas à trouver pléthore d’informations sur ce sujet ?
Les dossiers d’officiers ont été expurgés de tous les éléments politiques dès 1912. Mais quand on en lit un grand nombre, notamment ceux d’officiers dont on connaît les options politiques et religieuses, on peut établir des comparaisons. Ainsi, on voit si les carrières sont plus rapides ou plus lentes que la moyenne : cela permet de poser des hypothèses quant à une éventuelle prise en compte des convictions et opinions dans les promotions. Les notations ne sont pas à négliger : elles aident à percevoir la valeur militaire de l’officier. Ainsi, tel catholique militant, breveté de l’Ecole de Guerre, était encore commandant à 52 ans : ses notes montraient que, n’ayant pas changé de garnison depuis longtemps, sa promotion s’en était trouvée pratiquement bloquée. Les arguments religieux ne semblent donc pas avoir interféré, quoi qu’en ait dit l’intéressé à l’époque. Les origines des cadres (recrutement direct ou semi-direct) influencent aussi les avancements, en-dehors de toute attitude politique ou religieuse. Certes, on peut se demander si ces notes militaires ne sont pas indirectement influencées par d’autres considérations. C’est là où le croisement des dossiers permet de s’affranchir de ces limites.
En 2001, vous avez publié L’Aumônerie militaire française aux éditions du Cerf. Où faut-il chercher en France des archives sur l’aumônerie militaire et les aumôniers pendant la Première Guerre mondiale ?
La difficulté, c’est qu’en 1914-1918, il n’y a pas tant une aumônerie que des aumôniers militaires. Même si ces derniers sont reconnus officiellement, ils ne forment pas un service autonome et hiérarchisé, que la législation ne prévoit pas. L’aumônerie est plus une fonction qu’une institution. Aussi n’y a-t-il pas d’archives centralisées. Toutefois, on trouve au Service historique de la défense, dans le fonds privé consacré à l’aumônerie catholique, quelques cartons de correspondance des aumôniers volontaires, institués en 1914. Comme ils étaient suivis par un bureau privé, ils ont pu laisser ces archives, que l’aumônerie officielle a récupérées après 1945, puis déposées à Vincennes à la fin des années 1970. Il y a aussi les dossiers des aumôniers volontaires (environ 500). L’aumônerie protestante a également un fonds privé, mais peu développé sur la Grande Guerre. On peut recourir aux archives religieuses catholiques, notamment celles de l’archevêché de Paris, qui, de facto, réglait les questions ecclésiastiques. Quelques centres d’archives diocésaines (comme à Bayeux) possèdent des correspondances des prêtres et séminaristes mobilisés, mais les aumôniers ne représentent qu’une infime partie d’entre eux. Enfin, les archives du consistoire central israélite de France ont quelques dossiers sur les aumôniers de 1914-1918. A l’époque, il n’existe pas d’aumônerie musulmane.
Pour en savoir plus :
Xavier Boniface, L’armée, l’Église et la République (1879-1914), Paris, Nouveau Monde, 2012.
Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française (1914-1962), Paris, éditions du Cerf, 2001.
Abbé Achille Liénart, Journal de guerre 1914-1918, récit présenté et annoté par Catherine Masson, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2008. L’abbé Achille Liénart a servi en qualité d’aumônier au 201e régiment d’infanterie. Un CD, comprenant la retranscription du journal quotidien, la reproduction de l’ensemble du cahier manuscrit et des carnets de sépultures, est joint à l’ouvrage.
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