Le départ du 113e régiment d’infanterie de Blois le 5 août 1914 [Archives départementales du Loir-et-Cher, 6 Fi]
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A l’occasion de la préparation d’une exposition sur le département dans la guerre, les Archives départementales de Loir-et-Cher ont « redécouvert » dans leurs collections un journal intime qui constitue un témoignage vivant et totalement inédit sur la vie à l’arrière. Dans ce journal, à partir du 30 juillet 1914, l’architecte blésois Paul Legendre, conscient de la gravité des événements, rapporte l’actualité quotidienne, détaille ses occupations et confie au papier les pensées que lui inspire l’actualité.
Très vite, l’idée de la publication s’est imposée mais l’importance matérielle du journal (6 cahiers de 230 pages chacun) a conduit à privilégier une édition intégrale en ligne, pour laquelle Facebook semblait le médium le plus approprié. Ainsi, chaque jour depuis le 30 juillet, cent ans jour pour jour après que Paul Legendre a raconté sa journée sur son cahier, nous publions son récit : quelques phrases d’accroche illustrées sur Facebook et l’intégralité du texte sur le portail culture41.fr.
Un journal intime
Dans sa préface, Paul Legendre (1872-1941) précise lui-même sa démarche : « À la veille d’événements peut-être graves, au tournant mystérieux de notre histoire, je commence des « Souvenirs personnels et ce carnet de route ». Je l’écrirai sans prétention aucune, n’ayant que celle d’écrire juste, de rappeler au jour le jour ce que je verrai, ce que j’entendrai ». L’écriture sans rature laisse penser que Legendre prenait des notes qu’il retranscrivait peu de temps après mais les pensées livrées au papier sans dissimulation sur ses sentiments, ses indignations, ses élans patriotiques montrent bien qu’il écrivait pour lui. Le journal est agréable à lire : Legendre écrit bien, use d’un vocabulaire simple mais précis, il se laisse parfois aller au lyrisme lorsqu’il décrit un coucher de soleil ou les moissons délaissées :
« Elles sont là debout, les gerbes de France, groupées en tas ; immobiles elles attendent ; dans leur silence elles parlent ; dans leur immobilité elles marchent… silence éloquent… immobilité qui entraîne… elles sont là, stoïques au poste, les gerbes de France ! Elles sont seules, au milieu de plaine, et les laboureurs, ceux qui ont façonné la terre nourricière, sont partis ; et les semeurs, ceux qui ont jeté le grain aux quatre vents du ciel, sont partis ; et les moissonneurs, ceux qui ont jeté bas cette richesse pour en extraire les trésors sont partis !… elles sont seules les gerbes de France ! »
Chaque jour fait l’objet d’un compte-rendu plus ou moins long, en fonction de la densité de l’actualité nationale et locale : la guerre est loin, elle paraît très proche dans les pages du journal.
Les débuts de la guerre dans une ville de l’arrière
Paul Legendre raconte l’exaltation patriotique mêlée de résignation des premiers jours de la mobilisation (voir les journées du 30 juillet au 3 août), la difficulté des moissons alors que les hommes viennent de partir à la guerre, les nouvelles contradictoires du front, l’arrivée des premiers blessés et des réfugiés.
Petit à petit, la guerre s’installe dans le quotidien, fait de deuils, de restrictions, d’inquiétudes pour les amis partis au combat et les familles dans l’angoisse. Et en même temps, cette vie quotidienne semble inchangée : Legendre va souvent se promener en forêt de Blois, rend visite à ses clients, apprend à conduire à son neveu, fait plusieurs parties de pêche avec un jeune soldat qu’il accueille pendant sa convalescence, et se lance même avec lui au printemps 1915 dans une visite touristique à Bourges.
Un catholique dévot et un ardent patriote
Un autre aspect intéressant du journal, ce sont les opinions du catholique dévot qu’est Legendre, identifié comme camelot du roi par la police de Blois en 1910. Peu favorable à la République, il se lamente sur l’instabilité gouvernementale, déteste Joseph Caillaux. Il est cependant très patriote : l’exécration des « Boches » est virulente, surtout quand les destructions de la guerre atteignent des villes anciennes et Reims :
« Ne pouvant être victorieux, les Huns des temps modernes – plus barbares et plus sauvages que les Huns des premiers temps, qui, eux, respectèrent les temples sacrés et s’arrêtèrent devant sainte Geneviève – ils s’attaquent à Dieu, lui-même ».
L’exaltation du courage des soldats est fréquente :
« Glorieusement blessé et amputé du bras gauche, il a reçu 48 blessures. Son pauvre bras droit – le seul qui lui reste – est meurtri et mutilé […] Aucune poitrine ne sera plus digne de porter [la médaille militaire] » (26 janvier 1915).
Sa fréquentation des prêtres et des séminaristes du département, dont certains lui écrivent du front, apportent des informations peu connues sur l’état d’esprit du clergé, de même que sa dévotion un peu mièvre, très attachée aux saints, est un parfait exemple de la pratique sulpicienne des années 1900.
S’il n’a pas été mobilisé car il a une jambe plus courte que l’autre, Paul Legendre cherche à se rendre utile : dès le 3 août, grâce à son automobile, il entreprend d’organiser les moissons abandonnées dans les villages de Beauce, ce qu’il rapporte avec force détails. Puis il prend une garde de nuit dans l’une des ambulances installée en ville et décrit alors les souffrances des soldats.
Un épistolier infatigable
Parce qu’il correspond assidûment avec ses amis et sa famille, Paul Legendre reçoit beaucoup de lettres. L’intérêt du journal réside également dans ces lettres qu’il retranscrit : celles de sa sœur, installée à Paris, donnent une idée de la panique qui saisit la capitale en septembre 1914 et plus tard rapportent les bombardements qui la touchent à l’automne 14 ; celles de ses connaissances racontent le front, de la mer du Nord à la Lorraine ou même la vie militaire de l’arrière ; celles de son ami le prélat Henri Bolo emmènent jusqu’à la flotte de Méditerranée.
SI le quotidien décrit dans le journal est bien celui de Blois, ce que rapporte Paul Legendre dépasse les bords de Loire et brosse avec beaucoup de détails le portrait d’une ville de l’arrière : une vie ordinaire de vendanges, de tempêtes d’hiver et de promenades du dimanche mais qui demeure suspendue aux nouvelles, compte ses morts et contribue à l’effort de guerre.
Anne-Cécile Tizon-Germe, directrice des Archives départementales, Conseil général du Loir-et-Cher
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