Les historiques de corps de troupe

2 juin 2016

20160529_163000Les historiques régimentaires figurent parmi les sources les plus connues pour qui s’intéresse aux combattants de la Première Guerre mondiale. Ces courtes monographies, publiées immédiatement après la guerre, offrent l’avantage d’être synthétiques et compréhensibles par tous. Cependant, pour exploiter au mieux ces sources imprimées, il est utile de comprendre les raisons et les modalités de constitution de cette importante collection après 1919.

Les historiques régimentaires : une histoire ancienne.

La tenue des historiques de corps de troupe est une pratique ancienne dans les armées, officialisée au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. L’objectif est de rappeler et de commémorer les faits passés dans les unités. L’enjeu est de taille : la rédaction des historiques doit contribuer à « raffermir et développer la valeur morale de l’armée« , à une époque où l’institution militaire est en pleine réorganisation. Y figurent tous les faits intéressant le corps : sa date de formation, sa composition, ses garnisons, son encadrement, ses campagnes, ses combats mémorables, etc. Des officiers spécialement affectés à cette tâche dans les corps sont dépêchés à Paris afin de mener des recherches dans les archives du ministère de Guerre. Ils sont tenus d’écrire « avec sincérité et simplicité ». Le ministère leur facilite l’accès aux archives et veille à la bonne tenue des historiques des corps de troupe (voir à ce sujet les circulaires ministérielles des 3 juin 1872 et 16 mai 1886). Ainsi, au tournant des XIXe et XXe siècles, la rédaction des historiques régimentaires est presque achevée.

Ces volumes, manuscrits et imprimés, sont destinés à l’archivage dans les unités et au ministère de la Guerre. Ils sont richement illustrés et les textes, détaillés, sont souvent de qualité. Aujourd’hui, ces historiques sont conservés au Service historique de la Défense dans la sous-série 4 M (voir Bibliographie des historiques des régiments français par le capitaine Jean Hanoteau et Emile Bonnot. Tant sur la forme que que le fond, ces historiques anciens se distinguent des historiques régimentaires de la Première Guerre mondiale.

Un nouveau souffle en 1918.

Avant même la fin des hostilités, le commandement renoue avec cette tradition : les publications reprennent, souvent à l’initiative des chefs de corps des régiments dissous, qui souhaitent commémorer les faits marquants de leur régiment. L’élan se poursuit (les dissolutions s’accélèrent aussi) après la guerre. Le ministère de la Guerre encourage les unités et les services à rédiger un historique de la guerre.  Ainsi, c’est par centaines que sont publiés des historiques régimentaires jusqu’au milieu de l’Entre-deux-guerres. Toutes les unités de l’armée française, du bataillon à l’armée, de la territoriale à l’active, de l’infanterie au train des équipages y vont de leur historique des opérations menées pendant la guerre. Il existe même des historiques d’armes, à l’instar de celui du colonel Astouin et du chef d’escadron Izard, Le train des équipages et le service automobile pendant la Grande Guerre (1914-1918), préfacé par le général Niessel et publié par l’Association nationale des anciens combattants du train en 1934.

Toutefois, les historiques des corps de troupe publiés après la guerre ne forment pas un groupe homogène. Je distinguerai deux groupes : celui des historiques que je qualifie de « techniques » et celui des historiques « commémoratifs », qui m’intéresse davantage ici.

  • Les historiques « techniques »

Ces historiques portent sur l’action des unités au combat. Le plus célèbre et le plus volumineux n’est autre que Les Armées françaises dans la Grande Guerre. Cependant, la plupart concernent des régiments ou des bataillons sur une période chronologique courte. Ils sont écrits par des officiers et publiés chez des éditeurs spécialisés comme Berger-Levrault ou Lavauzelle ou dans des revues militaires (Revue militaire générale, Revue de l’infanterie, etc.). Deux exemples : l’article du commandant Debeugny, « La 72e division de réserve en août et septembre 1914 », publié dans la Revue d’infanterie en mars 1937, ou encore l’important travail du colonel Boucherie, L’historique du corps de cavalerie Sordet, publié par Charles-Lavauzelle en 1924. Ces ouvrages présentent une situation militaire et décrivent les différentes étapes des batailles ou des opérations d’une unité sous l’angle tactique. Les textes s’appuient sur des sources (cartes, croquis, comptes rendus, ordres, témoignages, etc.), parfois reproduites. Les textes sont souvent préfacés par un officier général reconnu, témoin des événements relatés.

Ces textes exigent de bonnes connaissances historiques, tactiques et géographiques. Aujourd’hui difficiles à exploiter, ils ont été jadis très appréciés par les cadres de l’armée, qui y voyaient un moyen de mieux comprendre les actions militaires et le combat. Le but était alors de tirer des enseignements de ces combats, dans l’esprit de « l’histoire réflexion« .

  • Les historiques « commémoratifs »

Les historiques « commémoratifs » ont été plus largement diffusés. Si quelques régiments ont choisi de réécrire leur histoire depuis les origines jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, la plupart des unités se sont cantonnées à la période 1914-1918. De plus petite dimension que les historiques anciens, contenant des textes plus courts, ces opuscules brochés sont destinés à être facilement glissés dans la poche ou un bagage. Ils sont peu illustrés et contiennent rarement des cartes. Seule la première de couverture est illustrée. Elle peut être ornée d’un emblème où apparaissent clairement les noms des batailles et les décorations sur la cravate, de trophées d’armes, du casque Adrian, de la Croix de guerre, de fourragères, de feuilles de lauriers et de chênes, symboles de gloire et de courage, ou encore d’inscriptions (devises, noms de batailles, citations, etc.).

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Contrairement aux historiques anciens, la rédaction est moins rigoureuse et s’appuie peu sur les sources. Le récit des événements est chronologique et factuel, se bornant uniquement à rappeler les principaux faits dans lesquels le régiment s’est illustré. En pièces jointes, on peut trouver l’ordre de bataille du régiment, les citations collectives ainsi que des citations individuelles exemplaires et la liste nominative des morts et disparus. Nous sommes ici dans le champ de « l’histoire illustrative« . Le but est de commémorer les sacrifices consentis, de cultiver le sentiment patriotique des anciens et des recrues et de montrer la part prise par le régiment dans la guerre. Les recrues doivent y trouver un exemple à suivre et à partager : « Apprendre à connaître les anciens, c’est pour les jeunes chasseurs vouloir les imiter un jour » (29e bataillon de chasseurs à pied) ; « Et puis montre-le, prête-le, conte-le, commente-le » (4e régiment mixte de zouaves-tirailleurs).

Dans les régiments de l’armée active, conformément aux instructions ministérielles, les chefs de corps ordonnent à des officiers du régiment d’écrire l’histoire de leur unité dès la fin de la guerre. Mais bientôt, de nouveaux acteurs font leur apparition. Les anciens combattants des régiments dissous ou de la réserve ont la volonté d’écrire l’histoire de leur régiment et de commémorer la mémoire de leurs frères d’armes tombés au champ d’honneur. Les amicales d’anciens combattants, des officiers en retraite et des officiers de réserve sont étroitement associés à la rédaction pour les régiments de réserve. La parution de l’historique est l’occasion d’organiser diverses manifestations (expositions, conférences, etc.) et cérémonies patriotiques.

Or ces opuscules, d’inégale qualité, laissent souvent à désirer. Leur objectif mémoriel explique le manque d’objectivité et le style hagiographique. Les auteurs, anonymes le plus souvent, ont peu consulté les archives, se limitant, dans le meilleur des cas, à des documents détenus au régiment et à des témoignages d’anciens combattants, ce qui se traduit par de nombreuses erreurs, des approximations voire des oublis volontaires. Par exemple, les mutineries et les exécutions pour l’exemple sont passés sous silence.

À la fin des années 1930, le commandement comprend que la conception des historiques régimentaires est de qualité médiocre et échappe à son contrôle. Dans une circulaire relative à l’établissement des historiques de corps de troupe de 1938, le commandement dénonce des historiques « rédigés de façon hâtive« , qui reposent sur « une documentation insuffisante » et « parfois présentés d’une façon médiocre« . Il fait savoir qu’à l’occasion des rééditions d’historiques, les chefs de corps peuvent toujours bénéficier de facilités (mises à disposition des archives du Service historique par exemple), qu’ils doivent également veiller à améliorer la rédaction et la présentation de ces ouvrages et qu’ils doivent déposer deux exemplaires de ces nouveaux historiques au Service historique de l’état-major de l’armée. Cependant, la déclaration de la guerre interrompt ce nouvel élan.

En ayant à l’esprit toutes ces réserves, il n’en reste pas moins que les historiques de corps de troupe constituent une bonne entrée en matière pour commencer une recherche, à condition bien sûr que d’autres sources viennent les contrebalancer.

Pour consulter les historiques et en savoir plus :

Mémoire des hommes : les historiques régimentaires des unités engagées dans la Première Guerre mondiale. On peut également les consulter sur Gallica ou le site internet de la BDIC (L’Argonnaute)

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