Publié aux éditions A l’ombre des mots, le dernier livre de l’historien Yann Lagadec consacré aux monuments aux morts des Côtes d’Armor de 1914 à aujourd’hui est original à plus d’un titre. Certes, on y trouve les développements attendus sur les financements, l’édification ou encore la forme des monuments. Mais en exploitant des sources plurielles, il va plus loin et offre une vision très large de l’hommage aux combattants. Il étudie les divers monuments, communaux, paroissiaux ou professionnels, et leur usage mémoriel de 1914 à aujourd’hui. Pour en savoir plus, je lui ai posé quelques questions. 1/ Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? Trois éléments m’y ont poussé en fait. C’est tout d’abord un sujet sur lequel je m’étais déjà penché, au milieu des années 1990, lorsque j’enseignais au collège de Plémet : j’avais alors proposé à mes élèves de 3e de travailler sur les monuments de leur commune et j’avais ainsi pu mesurer tout l’intérêt de ces monuments, toute leur diversité. Cela avait été aussi l’occasion d’un premier contact avec une historiographie devenue classique depuis, notamment les travaux d’Antoine Prost, et d’une première mais très modeste publication. Le second élément est lié à l’encadrement d’étudiants de Licence professionnelle Tourisme…
Je n’ai jamais connu mon arrière-grand-père. Jean Baptiste Bourlet est mort pour la France le 7 octobre 1915. Canonnier au 17e régiment d’artillerie de campagne, il avait embarqué à bord du vapeur Amiral Hamelin le 2 octobre 1915. Le cargo, emmené par un équipage de 48 hommes, appartenait à la compagnie de navigation française à vapeur les Chargeurs réunis. Il transportait 306 passagers militaires, 2 000 obus de gros calibre et 15 000 de 75 mm et 2 millions de cartouches. Il avait pour destination Salonique mais n’arriva jamais dans le port grec : le 7 octobre 1915 à l’aube, il fut canonné et torpillé par l’U33, un sous-marin allemand battant pavillon austro-hongrois, au large de Cythère à environ 400 kilomètres des côtes. Mon arrière-grand-mère et ses fils, restés en pays envahis, n’apprirent la mort de Jean Baptiste qu’une fois la guerre terminée. Comme ce fut le cas pour des millions de familles françaises, sa disparition allait bouleverser l’histoire de ma famille et notamment la vie de mon grand-père qui, orphelin de père dès l’âge de cinq ans, devenait l’homme de la famille. J’ai bien connu mon grand-père, mais jamais je n’ai abordé l’histoire de son père avec lui. Mon…