Le 13 décembre 2016, à l’occasion du 100e anniversaire de la bataille de Verdun (1916-2016), la Zone de Défense et de Sécurité Ouest, la ville de Rennes et le Centre franco-allemand de Rennes organisent un concert caritatif, s’inscrivant dans la tournée annuelle des concerts Unisson. Le but premier de cette manifestation est de collecter des fonds au profit des familles des soldats tués ou blessés, lors des opérations extérieures.
Pour cette soirée franco-allemande, la Musique des Transmissions (ancienne musique de l’Artillerie), placée sous la direction de chefs français (le chef de musique hors classe, Philippe Kesmaecker, et le Major Frantz) et d’un chef allemand, venu de Berlin [capitaine (Hauptmann) Tobias Wunderle], sera accompagnée du chœur d’enfants de la Maîtrise de Bretagne. Au programme du concert figurent des marches militaires, de la musique classique et romantique, ainsi que des chants populaires ou des musiques de film.
Pourquoi une telle diversité musicale, avec des œuvres des XVIIIe, XIXe et XXe siècles ? Si dans une telle manifestation, dédiée à la Grande Guerre, il est normal de voir figurer dans le programme musical, pour le côté français, les airs du poilu de Francis Salabert et la sonnerie du cessez-le-feu ou, pour le côté allemand, la Fleury Marsch, composée par Georg Fürst, en hommage aux 14 officiers et 551 sous-officiers et soldats du régiment d’infanterie de la Garde bavaroise, tués dans les combats, lors de l’attaque du village de Fleury (23 juin 1916), d’autres œuvres paraissent plus insolites. Pourtant, les sources de la Grande Guerre expliquent, en partie, le choix des morceaux retenus. Quelques exemples peuvent permettre d’illustrer la sélection d’œuvres inattendues.
Quatre jours après le début de l’offensive allemande, quelques officiers de l’armée impériale parviennent, avec leurs hommes, à prendre le fort de Douaumont aux Français, le 25 février 1916. Cet événement est utilisé par la propagande allemande pour annoncer une grande victoire, alors que seule une soixantaine de soldats français défendaient ce point stratégique. Dans les documents du Reicharchiv, comme le rappellent les historiens Gerd Krumeich et Antoine Prost, ces officiers allemands sont comparés aux officiers les meilleurs du roi de Prusse, Frédéric II. Ainsi la somptueuse marche du temps de Frédéric le Grand (Marsch aus der Zeit Friedrich des Grossen) a toute sa légitimité dans la programmation de ce concert.
D’autres œuvres sélectionnées pour le concert s’attachent à la culture et au moral des soldats de 14-18. En juin 1975, lors d’un colloque international sur la bataille de Verdun, Paul Celestin Ettighoffer, écrivain, historien et combattant de la Grande guerre, membre des troupes de choc (Stoßtruppen) de l’armée allemande, évoque l’état d’esprit du soldat allemand devant Verdun. Il explique que ce ne sont plus les chants de marche qui, au printemps 1916, stimulent les soldats allemands, mais les Lieder, les airs de nostalgie. Ainsi, parmi les centaines de chants possibles, deux ont été retenus : Kein schöner Land, chant populaire composé par Anton Wilhelm Florentin von Zuccalmaglio (1803-1869), publié en 1840 et plus connu, à partir de 1884, quand il entre dans le livre des chants des soldats prussiens (Preußisches Soldatenliederbuch). De même, Im schönsten Wiesengrunde est un autre chant populaire célèbre, œuvre du juriste et poète Wilhelm Ganzhorn. Il écrit un premier texte en 1851, publié dans la chronique des chants souabes (Schwäbischen Lieder-Chronik), en 1876. Originellement, ce Lied comprend 13 strophes, mais seules trois sont chantées (1, 12 et 13). Avant 1914, ce chant est imposé en Prusse, à la fin de l’enseignement primaire et, vers 1900, il figure dans le livre de chants des soldats du sud de l’Allemagne (Schwäbisches Soldaten-Liederbuch).
La programmation musicale évoque également les fêtes traditionnelles, qui sont célébrées, en dépit de la guerre. Ainsi, pour la période de l’Avent, l’air du XVIIIe siècle, Tochter Zion, extrait de l’oratorio de G.F. Händel, Judas Maccabée, pièce dénommée, dans d’autres pays, Cantate Domino, est chanté sur le front. Ce chant figure dans plusieurs Kriegsliederbücher (livres de chants de guerre). Ainsi, dans le Gloria-Victoria ! Des deutschen Volkes Liederbuch aus großer Zeit, daté de 1915, Tochter Zion, freue dich, porte les n° 57 et 58, les paroles à chanter étant restreintes à un seul couplet. Cet air connu et recommandé par l’autorité militaire allemande de la Première Guerre mondiale a donc toute sa légitimité pour figurer dans le programme du concert du 13 décembre prochain.
Par leur richesse et leur diversité, les sources, la bibliographie et la filmographie permettent de varier les genres et les époques des œuvres musicales proposées aux spectateurs de ce concert, dédié à un épisode majeur de la Première Guerre mondiale.
Gilbert NICOLAS, professeur émérite d’histoire contemporaine, président du Centre franco-allemand de Rennes, Lieutenant-colonel de la Réserve citoyenne.
Réservation des places auprès du Centre franco-allemand : 02 99 63 41 97.
Pas de commentaire